L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neige

88 ~ Ilashan

C'était prévisible, avec cette alternance extrême de chaud et froid qu'a subi son organisme, alors qu'il se remettait à peine d'avoir frôlé la mort. Mais sans la douleur des engelures, Ilashan n'a pas reconnu les avertissements de la maladie, mettant sur le compte de la fatigue et de la mauvaise humeur son mal-être de la journée.

Pourtant, c'est bien la fièvre qui s'abat brutalement sur lui. Et le plonge dans un sommeil aussi épais qu'inconstant, entrecoupé de songes sans queue ni tête.

Il a vaguement l'impression de sentir son corps être soulevé, et d'entendre une voix le réprimander. Il se demande bien pourquoi. Il n'avait pas le droit d'aller à la bibliothèque ? Personne ne lui a dit le contraire. Il ne risque pas de voler des livres pour les lire en cachette. Mais il est trop fatigué pour poser la question.

La confusion s'est installée dans son esprit, émoussant les frontières de la réalité. Il cauchemarde que des créatures aux doigts de glace se jettent sur lui pour lui arracher ses vêtements. Puis qu'il est de retour dans le lac souterrain, mais que cette fois, les lianes l'enveloppent avec une douceur presque sensuelle plutôt que de chercher à l'entraîner dans les profondeurs. Il lui semble se réveiller à un moment, et croiser des prunelles d'un bleu intense qui ne peuvent appartenir qu'à Sylath. Mais il ferme les yeux presque aussitôt après, et se rendort profondément.

À travers son rêve, il a la certitude que quelqu'un est en train de prendre soin de lui. C'est un sentiment agréable, qu'il a trop peu connu au cours de sa vie. Les enfants malades étaient mis à l'écart pour ne pas contaminer les autres. Plus tard, quand il lui était arrivé d'être mal en point ou blessé, il ne pouvait pas compter sur les autres mercenaires pour le mettre au lit et lui dire de se reposer. Il y a pourtant quelqu'un qui est en train de s'occuper de lui. Il sent des mains sur son corps, une friction vigoureuse, et derrière ses paupières closes, les yeux clairs du vampire reviennent s'imposer.

Il n'en faut pas plus pour le réveiller. Ou tout du moins, lui faire ouvrir les yeux, la respiration moins régulière et le corps instantanément plus raide. Ilashan n'a pas vraiment conscience d'être nu, ni d'être dans le lit de Sylath, mais la trop grande proximité du vampire et la conscience de sa propre faiblesse réveillent en lui des peurs primitives.

Pourtant, la voix de Sylath est calme. Pas menaçante. Il ne comprend pas vraiment ce qu'il lui dit, mais il a tellement soif qu'il saisit sans réfléchir le bol qu'il lui tend pour en boire le contenu sans rechigner. Une odeur de plante et un goût particulier, que son corps associe à celui de la médecine. Il ne lui en faut pas plus pour se détendre, et retomber comme une masse sur le lit. Son rêve est cette fois bien plus agréable, et il a même l'impression de soupirer pour de vrai, sous les caresses de paumes froides mais agiles qui rafraîchissent son corps.

Ce n'est que plusieurs heures plus tard que Ilashan reprend conscience de ce qui l'entoure. Réveillé par la soif, son corps est étrangement lourd. Il lui faut quelques secondes pour comprendre que c'est à cause du bras ferme passé en travers de sa taille. Du torse large et tiède pressé contre son dos.

Ilashan se tend de la nuque jusqu'aux orteils. Son premier réflexe est de vouloir se dégager, mais il n'ose pas bouger aussi sèchement qu'il voudrait le faire. Il redresse prudemment la tête pour jeter un regard par-dessus son épaule, et tomber sur le visage impassible de Sylath.

La réalité lui retombe brutalement dessus, étourdissante. Il ne peut retenir un juron, et enfonce sa tête dans l'oreiller. Mortifié.

Il a été malade. Il le comprend, à présent. Son dépit augmente au fur et à mesure que son esprit éclairci tente de démêler les fils des heures qui viennent de s'écouler. Un mélange de gêne, de frustration et d'abattement commence à se réveiller en lui, faisant remonter dans sa gorge un goût amer.

De la colère, aussi. Mais à sa propre encontre.

Comment a-t-il pu laisser les choses en arriver là ?