197 ~ Sylath

2.6K 254 21
                                    

Les mots de l'humain sont un peu confus à l'esprit du vampire. Ils lui font l'effet d'un écheveau de laine dont il peine à démêler les fils. Et il a par moments le sentiment qu'il fait plus froid dans le coeur d'Ilashan qu'au centre d'un glacier.

Il a pourtant bien senti sa chaleur, sa vie, sa sensibilité même, sous la cuirasse protectrice. Mais il ne sait pas comment l'atteindre et il s'épuise à essayer. S'investir tant le fait se sentir tellement vulnérable. Espérer c'est à nouveau avoir quelque chose à perdre.

Sont-ils deux rapaces blottis dans la tempête, qui dans leurs tentatives pour s'étreindre se blessent de leurs becs et de leurs serres ? Quand Sylath est-il devenu si maladroit, si incapable de comprendre la complexité des cœurs ?

A-t-il toujours manqué de finesse à ce point ? Il ne se rappelle plus. Le temps brouille les sentiments et il perd la notion de ses propres sensations. Pourtant il sent qu'il n'a pas souffert comme cela depuis longtemps. Ilashan ravive de vieilles blessures, d'anciens espoirs déçus. Malgré tout, le vampire n'a pas envie de le laisser partir. Il sait qu'il prend de grands risques en jouant le tout pour le tout. Mais il n'y a que comme cela qu'il progresse avec Ilashan : en le laissant libre de choisir. Choisir de partir à la fin de l'hiver, de l'accompagner dans les souterrains, de porter le manteau du Veilleur, de lui offrir sa gorge...

Le mercenaire n'est pas de ces humains qui acceptent avec soulagement que l'on choisisse pour eux. Et c'est ce que Sylath respecte chez lui.

C'est aussi ce qui l'agace si prodigieusement !

Mais il faudrait dépêcher des cohortes de sauveteurs pour tirer Ilashan de son hiver intérieur. Dans ses regards, Sylath devine une détresse, une peine infinie à dire ce qu'il veut réellement, et à comprendre même ses propres besoins.

Et Sylath s'apprête à renoncer à l'atteindre quand l'humain invoque comme seul argument sa répulsion pour les dortoirs et sa pitié pour le vampire. Après tout, l'immortel est d'accord sur un point : il souffrira tant qu'il espérera une chose impossible.

Mais alors qu'il ouvre la bouche pour demander à Ilashan de le suivre jusqu'aux dortoirs où il dormira jusqu'au printemps, une main gantée saisit la sienne. Et tout immortel qu'il est, ses siècles d'expérience ne lui sont plus d'aucun secours.

Il lui faut du temps. Plusieurs longues secondes, pour comprendre, au fond lui, la signification de ce geste. Pour superposer dans son esprit l'expression de peur et de dégoût qu'il a plusieurs fois aperçue sur les traits du mercenaire, avec ce geste, ce contact qui révèle plus que la volonté de conclure un simple arrangement.

Sylath voudrait atteindre le coeur de cette forteresse au fond de laquelle l'humain se terre, et par ce geste, Ilashan le laisse seulement épousseter la neige qui macule les remparts. Mais c'est un pas vers lui, et c'était tout ce qu'espérait le vampire.

Il presse doucement la main dans la sienne, et lentement, attire le mercenaire contre lui. De son bras libre il l'étreint et ses lèvres se posent contre sa tempe.

Leurs peaux sont presque aussi froides l'une que l'autre, il est vraiment urgent de ramener Ilashan, il court un danger bien réel par ce froid. Mais Sylath prend néanmoins quelques secondes pour répondre à cette communication silencieuse et la récompenser. Des mots ne feraient qu'embarrasser Ilashan. Et ils ne sont pas très doués pour se parler sans se faire de mal.

Mais dans cette étreinte qui ne démontre aucune envie de sang, ou de chair, ou rien d'autre qui ne soit pas l'expression sincère de son affection, il espère qu'il pourra exprimer son soulagement, et le plaisir qu'il éprouve à garder le mercenaire auprès de lui un peu plus longtemps.

– On rentre, dit-il seulement, à voix basse.

Il s'écarte d'Ilashan mais ne relâche pas sa main.

De toute façon, il fait nuit noire, il risquerait de tomber, s'il le laissait se débrouiller à tâtons dans la neige.

En s'assurant qu'il ne glisse pas sur une plaque de glace et qu'il ne s'enfonce pas jusqu'à la taille dans la poudreuse, l'immortel le guide en silence jusqu'à la forteresse.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant