76 ~ Ilashan

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Traîné en arrière par une poigne prodigieuse, Ilashan ne peut rien faire d'autre que pousser une bordée de juron dans sa langue maternelle et chercher désespérément à quoi se raccrocher. Ses doigts saisissent un bref instant une liane inerte figée sur la roche, sous la surface de l'eau. Juste assez pour tenter de dégager ses pieds de l'étau qui l'enserre, mais le geste ne fait que raffermir l'emprise, et le happer plus fort sous la surface.

Il a l'impression que la plante est aussi puissante qu'un homme, et malgré l'absence de fond, il aurait probablement bu la tasse si les doigts frais de Sylath ne s'étaient pas soudain posés sur sa peau.

Dans un réflexe de survie, Ilashan s'agrippe aussitôt au vampire, les doigts serrés sur ses vêtements humides pour ne pas être écartelé entre ces deux forces qui s'affrontent. Ne pas bouger ? C'est bien plus facile à dire qu'à faire. L'envie de lutter lui vient du fond des tripes, poussée par son instinct de survie qui lui gronde qu'il va finir noyé s'il ne se débat pas.

Il aurait voulu lui jeter un regard sombre, mais il n'a pas la moindre idée de l'endroit où se situe le visage de Sylath. L'eau est chaude, gonfle ses vêtements, le rend plus lourd encore alors que la pénombre ajoute à la confusion de ses sens. Il ne sait plus où est le haut et le bas, s'il est vraiment au-dessus de la surface quand l'eau gifle son visage. Il n'est conscient que de deux choses, la liane solidement enroulée autour de ses chevilles, et les doigts de Sylath pressés sur sa nuque. Aussi fins que glacés, dans la chaleur humide de cette grotte.

Il ne se fait pourtant pas répéter les choses deux fois, et ne réfléchit même pas, remontant le long de son bras pour s'accrocher de toutes ses forces au cou du vampire. Son corps est puissant contre le sien, comme un rocher inébranlable qui le maintien hors de l'eau. Il sent Sylath agir sous la surface, la liane réagir à quelque chose, mais Ilashan est bien incapable de savoir quoi, l'esprit confus par des bruits dont il ignore l'origine et des mouvements qu'il ne peut pas voir.

Et puis soudain, l'étau se détache, et son corps est arraché de l'eau fumante. Il lui faut quelques secondes, toujours accroché à Sylath, pour comprendre qu'il est désormais posé sur ses deux jambes, sur le sol meuble. Il prend alors conscience que se sont ses membres qui flageolent, et que le son saccadé qu'il entend est celui de sa propre respiration. Le souffle court, il n'ose même plus bouger, de peur de mettre le pied au mauvais endroit. Il ignore si la plante est vraiment neutralisée, mais la voix calme et douce de Sylath est proche, toute proche, et le tissu de ses vêtements bien tangible sous ses propres mains.

Ilashan se force à déglutir. Il n'avait plus ressenti depuis longtemps cette peur terrifiante que l'on ne ressent que dans le noir le plus complet. Les coups et l'humiliation de la veille sont loin, très loin dans son esprit. Il n'y a plus que l'idée obsédante qu'il est aveugle et sans défense dans les profondeurs de la terre. Il inspire profondément, pour tenter de calmer sa respiration haletante et de retrouver sa maîtrise.

Les yeux fermés -un réflexe stupide-, sa voix chancelle plus qu'il ne l'aurait voulu.

— ... Ça va.

Ses jambes reprennent confiance en elles. Ses bottes ont protégé ses os et sa chair de la compression mortelle de la liane. Il y a d'autres choses dont il prend conscience, au fur et à mesure que les battements affolés de son cœur se tranquillisent Le clapotis du lac s'est apaisé. Et Sylath est vraiment tout près. Il a une perception bien plus vive de sa proximité, désormais. Mais Ilashan ne le relâche pas pour autant, quitte à lui broyer le bras.

Si le vampire ne s'éloigne ne serait-ce que d'un pas, en le laissant planté là, Ilashan serait prêt à le couvrir d'injures.

— Il y a beaucoup de choses... qui ont déjà essayé de me tuer... mais une plante, c'est la première fois.

Ilashan se passe la langue sur les lèvres. L'eau n'est pas aussi puante et vaseuse qu'il le craignait, mais son goût persiste au fond de sa gorge et de son nez, le faisant grimacer. Il rouvre les yeux pour que son regard s'habitue à sa pénombre, mais c'est peine perdue. Il n'y a pas la moindre source de lumière, ici.

— Est-ce qu'on peut... sortir de là ?

Si Sylath voulait le convaincre de la beauté de la Forteresse en lui montrant ces grottes, l'effet est complètement raté.

Mais cela a réussi en revanche à le faire rêver d'une coupe de vin devant l'un des feux de cheminée de la forteresse. À cet instant précis, c'est même devenu la chose qu'il désire le plus au monde.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant