196 ~ Ilashan

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Ilashan passe de longues secondes à observer le vampire, incapable de trouver quoi lui répondre. Sa colère retombe aussi vite qu'elle était montée, surtout provoquée par l'irritation de cette situation incompréhensible. Sa promenade au soleil lui a fait trop de bien pour que son humeur puisse s'enflammer vraiment.

Le ton glacial de Sylath achève d'ailleurs d'éteindre les dernières braises, et Ilashan sent son trouble augmenter face à cette confession aussi désabusée que sincère. Un aveu qui rassemble les morceaux brisés des événements qui viennent de se produire.

Le vampire s'est inquiété pour lui. Ressent de l'affection pour lui.

C'est aussi difficile à concevoir qu'à entendre. Ilashan ne se rappelle pas qu'on lui ait déjà dit de telles paroles.

— Je n'ai pas... Je ne vous vois pas comme un bourreau.

Plus depuis quelques jours, en tout cas. Sylath s'est excusé de la punition qu'il lui a fait subir peu après son arrivée, n'a cessé de se montrer patient et compréhensif envers lui. Ilashan ne sait pas exactement quand est-ce qu'il a arrêté d'y voir une ruse destinée à l'amadouer. Peut-être même qu'il ne vient de le saisir qu'à cet instant précis. Côtoyer les autres humains l'a aussi aidé à mieux appréhender, petit à petit, certaines des motivations du vampire.

Cela ne veut pas dire qu'il a changé d'avis sur leur mode de vie, et sur ce que l'esclavage lui inspire. Mais à défaut de cautionner, il comprend.

Derrière le vampire, la forteresse brille comme un immense chandelier, étendant les lumières de ses innombrables fenêtres jusqu'aux étoiles, dans le ciel encore balayé par les couleurs de l'aurore boréale. Un havre de vie et de chaleur dans l'immensité des montagnes enneigées.

« Un refuge au milieu de l'hiver » ... Ces mots sont plus clairs pour lui, à présent.

— Vous n'êtes pas seul. Les autres immortels s'inquiètent pour vous. Les novices aussi. Les humains vous admirent et tiennent à vous. Vous avez eu des parents, des compagnons... et vous avez le Veilleur.

Même son propre dieu ne lui a jamais apporté le réconfort que le sien semble donner à Sylath, ainsi qu'aux autres habitants de la Forteresse. Pas au point, en tout cas, de lui donner l'impression de compter vraiment pour quelqu'un, comme le vampire vient de le faire à l'instant.

Ilashan est encore étourdi par ses paroles. Il éprouve la même sensation qu'au crépuscule de la cérémonie du solstice, avant d'accepter de porter le manteau du Veilleur. Celle de se tenir au bord d'un précipice, hésitant à sauter.

— Je sais que vous n'êtes pas responsable de ce qu'il m'arrive. Et ce que vous faites pour moi. Mais je n'ai pas... je n'ai pas l'habitude de tout ça. Moi, je n'ai jamais eu personne.

Il voudrait se frotter le visage pour essayer de se remettre les idées en place, mais la surface extérieure de ses gants doit être trempée. Une bourrasque le fait frissonner, lui rappelant que même s'il est chaudement vêtu, et que si les murailles naturelles des montagnes les préservent du blizzard, il ne pourra pas rester indéfiniment ici.

Ilashan regrette soudain de ne pas voir dans le noir comme le vampire. Il aurait aimé pouvoir voir son visage, tout en redoutant l'expression qu'il aurait pu y lire. Sylath semble aussi distant que glacé, comme épuisé par l'effort. Celui qu'il fournit depuis des jours, pour lutter contre sa nature prédatrice et le désir qu'il lui inspire ?

Ilashan déglutit doucement. Le froid assèche ses lèvres, qu'il se retient d'humecter. Quoi que lui ait fait le vampire au début de sa captivité, cela ne justifie pas qu'il ressente maintenant autant de lassitude à cause de lui. Faire un geste vers Sylath ne lui coûterait pas beaucoup, et ne serait qu'un juste retour des choses pour tout ce qu'il a fait pour lui.

Mais Ilashan ne peut pas lutter contre ce qu'il est, contre les réactions que cette situation inconnue provoque en lui. L'affection que vient de lui témoigner le vampire le touche bien plus qu'il ne peut l'exprimer.

Et il sait qu'il ne sera jamais capable de lui rendre un tel sentiment. Encore moins de fournir autant d''effort que son hôte en a fait pour lui.

Est-ce que ce dernier en a conscience ? Ilashan en doute. Sylath ne connaît rien de sa vie, et semble à chaque fois si désarçonné par ses actions qu'il n'a sûrement pas encore compris à qui il avait affaire.

— Si je reste avec vous, je ne suis pas sûr que ça vous aide à vous sentir mieux. Vous allez souffrir encore, et vous ne l'avez pas mérité. Ça serait sûrement mieux pour vous que je m'en aille.

Ilashan ferme brièvement les yeux, prenant une inspiration, comme chaque fois qu'il a besoin d'éclaircir ses pensées avant de prendre une décision qu'il risque bien de regretter. Il n'a plus le choix pourtant, acculé par cet ultimatum. En rouvrant les paupières, il cherche à nouveau le regard de Sylath, luttant en vain contre l'hésitation qui trouble sa voix.

— Mais... je déteste vraiment les dortoirs. Et vous ne méritez pas non plus de rester seul.

Ilashan s'en veut aussitôt pour sa propre maladresse. Dire ouvertement les choses ? Comme s'il en était capable. La frustration se lit dans ses propres yeux, celle de ne pas être en mesure de pouvoir exprimer cela autrement.

Si bien qu'à la place, dans une impulsion, il attrape vivement la main du vampire pour la serrer entre ses doigts, la gorge nouée par sa propre impuissance. Peut-être qu'à travers ses gestes, il parviendra mieux à lui faire comprendre ce qu'il tente de lui dire avec ses mots maladroits.

Il l'espère de tout cœur, en tout cas. Car si ce n'est pas le cas, le fossé qui va s'ouvrir entre eux sera probablement impossible à combler.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant