128 ~ Ilashan

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Ilashan ne répond que d'un air blasé à la plaisanterie de Sylath. Il s'attendait lui aussi à ce que le vampire rétorque par la provocation. Et quelque part, il préfère cela à la tendresse inattendue. Son rire le fait aussi bien moins frémir que d'habitude, dans l'ambiance chaleureuse de la grande salle.

Il cache sa grimace derrière son verre en entendant les compliments pleuvoir sur la cérémonie. Au moins, les habitants sont contents et n'ont pas remarqué à quel point ça lui a coûté de faire cela.

La liqueur a un étonnant goût de plante, mais ce n'est définitivement pas mauvais, et Ilashan s'en ressert généreusement. Même s'il manque de tout recracher en se faisant proposer contre son gré un cours de danse.

— Je ne suis pas très bon danseur, rétorque-t-il en essayant de ne pas avoir l'air trop maussade. Après quelques verres, peut-être.

Il est déconcerté par la proximité dont font preuve les deux jeunes filles envers Boréa, et comprend rapidement quel genre de relation il doit y avoir entre ces trois-là. Ça ne l'inspire pas vraiment, mais il n'a d'autre choix que de se laisser emporter par la conversation des deux humaines. Il mange avec appétit, tout en répondant sans rechigner à leurs nombreuses questions, faisant comme s'il n'y avait pas de vampires autour d'eux. De toute façon, ces derniers semblent bien trop occupés par leurs propres conversations, y compris Sylath qui reçoit naturellement de nombreuses sollicitations.

Les jeunes filles lui parlent de tout et de rien, du repas et de la cérémonie, de la façon dont il s'adapte à la forteresse. Ilashan se dévoile peu, mais ne coupe pas court non plus à la conversation. Quand les musiciens commencent à jouer, Ilashan les suit de mauvaise grâce. Mais avec l'estomac plein et l'esprit échauffé, il est bien plus facile de se laisser aller. Yola a vite les larmes aux yeux tellement elle rit de sa piètre maîtrise des danses du nord, mais loin de le vexer, cela le fait plutôt sourire.

Il y a des rires, des chants, la poitrine de Fraya pressée contre lui alors qu'il la fait virevolter au milieu des tables. Il y a aussi les plaisanteries des anciens, d'autres verres échangés, les yeux clairs d'une jeune fille inconnue et ses doigts fragiles pressés sur son bras. D'autres plats, aussi chauds que savoureux, généreusement arrosés.

Ilashan est surpris par le son de son propre rire. Il ne pensait pas qu'il serait capable d'éprouver un tel sentiment de douceur ici, et se demande pourquoi les autres soirs lui ont semblé si silencieux et tristes dans l'obscurité de la forteresse.

C'est la première fois qu'il peut voir quels humains se cachent encore derrière les esclaves, quelle vie ils auraient pu avoir si le nord n'avait pas été si hostile, si la Forteresse avait été Hauteforge. Il n'est pas resté assez longtemps au château, et l'humeur du souverain n'était alors pas à la fête ; mais il a l'impression qu'un tel banquet n'aurait pas été aussi chaleureux et joyeux que celui de ce soir.

Bien plus tard dans la nuit, Ilashan profite d'un instant de répit, assis sur un banc, léchant ses doigts encore humides du dessert qu'il vient d'avaler. La fatigue commence à l'assaillir, d'autant plus féroce que sa tension a été vive. Il a de toute façon l'impression que la nuit touche à sa fin. La pression d'une main sur son épaule lui fait tourner la tête, et il fronce légèrement les sourcils en reconnaissant les yeux bleus de Sylath.

Il ne suffit que de quelques mots pour réveiller la rancœur toujours tapie dans son ventre. À moins qu'il ne s'agisse de l'effet cumulé de la fatigue et de l'alcool ? C'est le moment de la fête où la bonne humeur s'estompe, ouvrant derrière elle des portes jusqu'alors fermées. La partie du banquet où les esprits s'échauffent et les bagarres éclatent. Mais ici, il semblerait qu'il y ait une autre façon de faire couler le sang.

Ilashan soupire. Son esprit n'est plus très vif, et pourtant, il n'a pas de mal à se redresser. Il tient plutôt bien l'alcool, et n'a pas bu au point de tomber ivre mort, même si comme la majeure partie des humains, il est indéniablement éméché.

— C'est vrai. Maintenant que les brebis sont suffisamment engraissées, il est temps de les manger, n'est-ce pas ?

Il a bien remarqué au fil des heures que les immortels ne se nourrissaient pas, ou très peu, profitant relativement peu de la fête, à l'inverse de leurs esclaves. Un air de révolte sur le visage, il provoque Sylath d'un regard hostile, avant de s'emparer d'une bouteille oubliée sur la table. Poussant un soupir étonnamment las.

— Moi, je vais me retirer. Mais vous, vous devriez profiter. C'est votre cérémonie. Vous n'avez pas fait tout ça pour aller border un humain ivre au lieu d'aller tripoter un de vos novices. Et puis...

Il fixe sa bouteille, et en avale une généreuse lampée, à même le goulot. Puis agite le flacon pour vérifier qu'il reste bien encore un peu de liquide au fond.

— J'ai déjà de la compagnie, et je pense que je suis encore capable de retrouver le chemin tout seul. Bonne nuit.

Ilashan mime une révérence avant de tourner les talons, sans vérifier si le vampire le suit ou pas. Sa démarche n'est certes pas aussi assurée et souple que d'ordinaire, mais il ne voit pas double et ne se sent pas tanguer, signe évident qu'il sera capable de rentrer dans sa chambre avant de tomber endormi dans un couloir. Il n'a aucune envie d'assister à ce qu'il va se produire ici, ni même d'essayer de l'imaginer, et compte bien mettre le reste de liqueur à profit si jamais ce genre de pensées revient l'assaillir d'ici là.

D'autant plus qu'il est presque certain qu'il trouvera aisément de la compagnie bien plus chaleureuse que sa bouteille, une fois dans les couloirs.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant