129 ~ Sylath

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Il lui avait proposé de regarder le soleil se lever après le banquet, mais Ilashan n'a plus du tout l'air d'en avoir besoin. Le vampire l'a vu rire et danser — assez mal d'ailleurs, ce qui est très amusant pour un mercenaire qui maîtrise si bien son corps quand il s'agit de se battre — et Yola et Fraya ont encore les joues rouges et le sourire aux lèvres. Il a aussi manifestement beaucoup bu, peut-être un peu trop, mais Sylath est d'accord avec lui, il ne risque pas de se perdre entre ici et leur chambre...

Il aurait voulu qu'il soit son calice pour l'étreindre, là, maintenant, poser les mains sur ses joues, embrasser ses lèvres puis lui relever doucement la tête pour mordre sa gorge et s'enivrer de son sang au goût de fête. Ilashan l'a déjà laissé embrasser son front, et c'est peut-être la seule marque de tendresse qu'il acceptera jamais de lui. Et Sylath a le sentiment amer que ça ne suffira pas. Que rien ne suffirait, que même si Ilashan s'offrait à lui corps et âme, ce ne serait pas assez parce que son désir est un feu inextinguible qui torture son corps gelé.

Il veut le raccompagner mais il sait que ce n'est pas une bonne idée. Il a trop envie de lui pour son propre bien, et Ilashan n'a pas besoin des perversions d'une créature monstrueuse, il a besoin de terminer cette soirée sur une note positive, il a besoin de la chaleur humaine. Ce que précisément, Sylath ne peut pas lui donner.

— D'accord, va, je te rejoins plus tard. J'ai des novices à tripoter...

Il aurait voulu dire la dernière phrase d'un ton amusé et désinvolte mais il entend l'amertume dans sa propre voix et il se détourne du jeune homme. A la table d'honneur, Boréa a les lèvres suspendues au sein de Yola, Méric caresse une novice dont il a retroussé la robe pour la faire asseoir sur ses genoux, deux autres immortels sont assis à d'autres tables, auprès des humains entre lesquels ils ne tarderont pas à faire un choix.

L'un des deux jeunes hommes qui faisaient partie de la « présélection » de Boréa pour la cérémonie du manteau du Veilleur s'approche de Sylath, c'est celui qui avait si peur de lui donner son sang quelques jours en arrière, lors de la cérémonie d'offrande. Il est cette fois bien plus détendu, et le vampire devine que l'alcool n'y est pas pour rien.

— Flagelleur ? l'appelle-t-il en rougissant un peu. Puis-je requérir l'honneur de vous offrir mon sang ?

Sylath a un sourire très doux. Sans doute, dans d'autres circonstances, il aurait accepté immédiatement, comment refuser un esclave si volontaire ? Ce garçon ferait un calice parfait. Comment s'appelle-t-il déjà ? Padrig ? Oswyn ?... Jory !

Il est sur le point d'accepter, mais il songe à Ilashan, à son expression étonnement ouverte quand il a embrassé son front. Le seul humain dont il convoite le sang a quitté la fête.

— Tu n'es pas à nos côtés depuis très longtemps, Jory ?

— Je suis à la Forteresse depuis deux mois, seigneur.

— Tu n'as jamais été mordu ?

— Non, seigneur.

— Tu vas faire un fidèle exceptionnel, prédit le vampire avec certitude. Je te remercie pour ce que tu m'offres, cela aurait été un honneur d'être le premier à boire ton sang. Mais ce soir, je veux que tu profites de la fête.

Sylath fait glisser ses doigts sur la gorge qu'on lui offrait si généreusement, et renvoie l'humain après une caresse. Puis il profite de l'agitation pour quitter discrètement la fête. Il remonte les couloirs jusqu'au dortoir des malades et s'assoit avec précautions sur le rebord du lit de Mérédith. Les jolis cheveux blonds de la jeune fille sont quelque peu décoiffés mais son teint est moins pâle. La fièvre a baissé et la jeune novice chargée de la veiller, elle et les autres malades, lui indique d'un signe de tête qu'elle va déjà mieux.

Le vampire pose ses doigts froids sur le front de l'humaine qui ouvre les yeux.

— Flagelleur...

Sa voix est faible mais son esprit semble lucide.

— Comment tu te sens, Mérédith ?

— Je suis désolée... pour la cérémonie...

— Je te réserve celle de l'année prochaine, promet le vampire avec un sourire de réconfort.

— Qui m'a remplacée ?

— Ilashan, l'homme du Sud qui...

— Le mercenaire, dit Mérédith en hochant légèrement la tête. Votre esclave.

— Il n'est pas à moi, répond Sylath en servant un verre d'eau à la jeune fille.

— Oh, si, il est à vous.

Sylath l'aide à boire.

— Je connais les hommes du Sud... Le seigneur de Hauteforge les engageait souvent pour protéger Heurtevent. Ils sont bien plus exubérants que les gens du coin. Ils sont fêtards, ils parlent forts... Mais ils ne parlent jamais de leurs sentiments. Mon père disait qu'ils étaient plus pudiques que des vierges !

Mérédith a chuchoté cela comme une grande confidence. Sylath presse le dos de sa main contre sa bouche pour étouffer un rire. Les yeux de l'humaine brillent.

— Merci pour cette information, Mérédith.

— Merci d'être venu me voir, Flagelleur.

Sylath se relève, Mérédith s'est rendormie avant qu'il ait quitté le dortoir, mais ses mots font toujours sourire le vampire tant ils lui semblent justes. Enfin, sauf pour l'exubérance. Et Ilashan ne parle pas spécialement fort non plus, il est plutôt du genre à se faire oublier. Mais il est secret sur ses sentiments.

Dehors, le soleil se lève lentement, sa lumière est faible comme si cette interminable nuit avait épuisé ses forces. Sylath sent la soif le tenailler violemment, mais il écarte la sensation. Il verra plus tard. Les couloirs sont maintenant presque tous vides et le vampire revient vers sa chambre en songeant que cela fait seulement sept nuits qu'Ilashan est arrivé à la Forteresse et il lui reste moins de trois mois pour le convaincre d'y rester.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant