185 ~ Sylath

2.4K 224 4
                                    

Ilashan s'installe près de la cheminée, à ses côtés, et Sylath songe que malgré toutes ses accusations, et bien qu'il l'ait fouetté, et que le mercenaire connaisse la sensation des crocs du vampire dans sa chair, il a assez confiance en lui pour s'asseoir à côté de lui sans crainte. C'est une personne si contradictoire...

— Si je te le propose, c'est que ça me fait plaisir. Tu bouges bien, et tu te bats bien. Si j'étais humain, je n'aurais aucune chance contre toi. Je suis simplement plus fort et plus rapide, mais ta technique est meilleure.

Le conseil que formule Ilashan choque Sylath qui écarquille un peu ses yeux de glace et dévisage l'homme du Sud. Faire croire à la mort des novices du Temple ?

— Je ne suis pas un mercenaire Ilashan, répond-il après un instant. Je suis le messager d'un dieu. Autrefois, les gens de la région faisaient confiance au Veilleur, ils croyaient en lui. Aujourd'hui ils ne croient plus en rien. Ils vénèrent l'or, le commerce avec le Sud, la guerre, ils croient aux spectres des montagnes, ils craignent les loups, ils craignent l'hiver. Pourtant le Veilleur pourrait prendre chacun d'eux sous son manteau.

Sylath détourne le regard et secoue la tête.

— C'était il y a des siècles, mais leurs ancêtres savaient à quoi ils s'exposaient quand ils ont quitté sa protection. La Forteresse n'était pas un mystère pour eux, c'était un refuge que nous avait offert le Veilleur. Un refuge immense, construit par des hommes de foi. Tout le peuple aurait pu y vivre. Ils s'en sont détournés et ont choisi d'oublier jusqu'à son existence. Nous n'allons pas les conforter dans leurs fantasmes ou leur inventer des histoires pour apaiser leurs craintes. Ils ont préféré oublier le passé, leurs origines, et leur dieu.

Le vampire réalise qu'Ilashan ne s'est même pas rendu compte du caractère choquant de ce qu'il lui conseille. À ses yeux, les serviteurs du Veilleur sont des monstres, et il est normal que les monstres fassent des choses affreuses, dissimulent, et mentent. Sylath a pourtant toujours eu le sentiment d'offrir une vie meilleure aux humains qui rejoignaient la Forteresse. Bien sûr, il en est qui refusent ces changements, qui souffrent d'avoir perdu leur ancienne vie, comme Ilashan. Mais ils sont rares, confrontés à la majorité qui accepte l'amour et la protection du Veilleur.

Cette discussion se rajoute à la dizaine d'autres qu'ils ont déjà eues sur le même thème, et Sylath songe que leurs points de vue sont irréconciliables. Même assis à ses côtés, Ilashan le considère comme un monstre et comme un tortionnaire et son avis sur l'injustice et la cruauté des immortels demeure inchangé.

— Leurs proches perdus n'ont pas été emportés par des loups, ou par l'hiver, ou par des spectres, conclu néanmoins Sylath. Ils ont été désignés par le Veilleur pour rejoindre son royaume. La vie qu'ils vivent ici est celle qu'il a choisie pour eux, nous n'allons pas leur inventer d'horribles histoires pour justifier leurs pertes.

Sylath regarde à nouveau dans les prunelles noires de l'humain.

— Et puis, pourquoi ferions-nous l'effort de nous cacher ? demande-t-il d'un ton désabusé. Tu te chargeras bien assez tôt de dévoiler notre secret. Et alors aucune mise en scène macabre n'empêchera plus les seigneurs du Nord d'envoyer guerriers et mercenaires à nos portes.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant