Remonter à la surface est un véritable calvaire. S'agripper fermement à Sylath, comme un enfant qui aurait peur de perdre sa mère, lui coûte bien plus qu'il ne veut l'avouer. Mais il ne peut faire autrement, et chaque pas est une épreuve, entre ses vêtements aussi lourds que trempés, et le sol glissant dont il ne distingue plus la moindre aspérité. S'il était descendu sans encombre dans les profondeurs moites de la terre, il manque à plusieurs reprises de glisser en tentant de faire le chemin inverse, son corps se tendant un peu plus à chaque fois qu'il frôle la chute. Le rendant toujours plus dépendant de Sylath, à qui il broie sans doute le poignet, refusant de le lâcher malgré toute la rancœur que cela lui inspire.
L'humidité de la caverne n'aide pas ses vêtements à sécher et lorsque l'air commence à se rafraîchir, Ilashan en vient à regretter d'avoir eu si chaud près du lac. La morsure du froid est terrible, sur sa peau couverte de matières trempés. Le choc des températures lui fait tourner la tête, lui donnant l'impression d'être fiévreux, si bien qu'il effectue les derniers mètres dans un état second. Il ne ressent même pas de joie quand ses yeux se posent enfin sur le timide halo d'une torche au bout d'un long tunnel, ne réalise même pas qu'ils quittent la pénombre des souterrains pour les ténèbres de la Forteresse.
Un ordre claque, le faisant frissonner, mais il ne l'entend qu'à moitié. La chambre de Sylath. La cheminée. La chaleur du tapis et des couvertures. Comme au premier jour, dans un état second, il se dirige seul vers la petite pièce pour quitter enfin ses habits trempés, mais l'épreuve est difficile quand on a les doigts gourds et que l'on grelotte jusqu'aux orteils. La tête lourde, il a l'impression de ne jamais avoir eu si froid de toute sa vie. Pas même lorsqu'il est arrivé ici, après des heures d'errances dans le blizzard. Empêtré dans sa propre tunique, il n'entend pas le bruissement du rideau, mais sent tout à coup une force salvatrice tirer sur le tissu récalcitrant pour l'en dégager enfin.
Et ses yeux croisent les prunelles bleues de Sylath.
Il a l'impression qu'ils se sont déjà affrontés du regard de nombreuses fois au court de ces derniers jours. Mais s'il n'a jamais détourné le visage, Ilashan a le sentiment qu'il ne l'a jamais remporté non plus.
Les doigts du vampire sont posés sur ses hanches, comme l'étreinte d'un amant dans l'expectative. Un geste suspendu qui pourrait être si érotique. Si terrifiant, aussi.
La gorge d'Ilashan est aussi sèche que ses lèvres, alors que sa propre expression se durcit.
— Vous aviez moins de scrupules à me déshabiller, hier.
Mais sa tête est trop lourde pour que le dégoût et l'orgueil ne le poussent à se dégager de son emprise. Sylath l'a déjà vu nu, et Ilashan n'aspire plus qu'à se défaire de cet étau humide pour pouvoir sécher sa peau glacée. Le pantalon tombe au sol dans un bruit sourd, dévoilant son corps quasiment imberbe, bleui par le froid, marqué de cicatrices anciennes. Il a déjà des traces bleues sur les chevilles, mais ne les remarque même pas. Ilashan saisit sans tarder l'une des grandes serviettes de la salle d'eau pour s'emmitoufler dedans.
— Je n'étais pas le seul qu'on avait envoyé.
Il ne jette qu'un bref regard à Sylath, rejoignant en tanguant la chambre pour s'affaler sur le tapis devant la cheminée. Il claque des dents, le froid imprégné en lui jusqu'aux os. Mais il n'a pas la force de saisir une couverture plus épaisse sur le lit. La chaleur de la serviette et de la cheminée l'apaise, et il ramène ses genoux vers lui, des fourmillements se répandant à travers tous ses membres.
Il ignore si Sylath l'a suivi. Ses pensées sont trop confuses pour le remarquer. Il est peut-être tout aussi bien en train de parler à du vide, mais les mots ont besoin de sortir.
— Les autres aussi étaient tenaces... mais eux, ils sont morts.
Il le sait à présent. Ce qu'ils ont dû ressentir, quand le froid est devenu trop intense à supporter, empêchant jusqu'à leur esprit de fonctionner, leur cœur de battre. Avant que le blizzard ne s'abatte sur eux, la moitié du groupe voulait rebrousser chemin. L'autre souhaitait persévérer jusqu'à l'un des refuges qu'on leur avait indiqués. Peut-être que les jeunes gens disparus s'y étaient abrités. Peut-être qu'ils pouvaient s'établir là-bas quelques jours, pour prospecter la région, à la recherche de loups ou de quoi que ce soit d'autre qui ait pu s'attaquer aux humains.
La tempête avait tranché pour eux. Ilashan aurait dû mourir avec ses camarades. Il aurait aussi dû mourir noyé dans les profondeurs de ce lac. Mais à chaque fois, Sylath a décidé de lui sauver la vie.
— C'est ça que vous voulez. Quelqu'un qui vous tienne tête... pas comme vos brebis obéissantes. C'est pour ça que vous me gardez vivant.
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L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neige
VampireDans les terres enneigées du Nord, un groupe de mercenaires a été envoyé à la recherche de villageois portés disparus. Pris dans une tempête, Ilashan, un guerrier venu du Sud lointain, ne doit son salut qu'à l'apparition d'une silhouette mystérieuse...