181 ~ Sylath

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Sylath s'enveloppe dans son manteau et devient une ombre blanche. En silence, il se glisse hors de la forteresse, vers l'hiver, vers les bras du Veilleur. Dans la pureté absolue de la neige, sa douleur s'estompe et peu à peu et son esprit redevient clair. Tous ces tourments pour un humain ? demande une voix cynique en lui. La chaleur d'Ilashan le détourne des baisers de glace du Veilleur. A s'intéresser trop à cet humain, il va en négliger le temple, son devoir, tous les autres mortels qui sont sous leur responsabilité.

Le Flagelleur est l'un de ceux qui s'est le moins égaré au cours de l'éternité qui leur a été offerte. Tous les immortels ont flanché à un moment, ont recherché la mort, ou la libération, ou ont aimé un humain avec la ferveur d'un mortel devant une idole. Sylath, lui, n'a jamais flanché, même la douleur de la perte de ses calices n'a pas entamé ni sa foi, ni la force de son cœur.

Les siècles qui glissent sur lui ne font que durcir, une nuit après l'autre, la glace qui emprisonne son cœur. Les beaux yeux noirs d'Ilashan ont manqué de faire vaciller cette inébranlable résolution.

À cette pensée, son corps insensible frissonne. Les quelques gorgées de sang que l'humain lui a offertes, en se pressant contre lui... Il sent que cet instant pourrait le perdre et avec une fermeté douloureuse, il le repousse loin de son esprit et inspire profondément l'air lourd et immobile.

Les nuits sont si longues qu'à cette heure pourtant proche du matin, il semble à l'Immortel que le monde n'a jamais été aussi froid. Le soleil lui-même a dû geler. Et s'il ne se levait finalement pas ? Si ses rayons devenus des stalactites de glace s'accrochaient aux crêtes des montagnes et le retenait lui aussi prisonnier de la nuit et de l'hiver ?

Ilashan partirait quand même, répond la voix cynique au fond de lui.

Sylath s'agenouille dans la neige. Il a tant marché qu'il ne distingue plus de la Forteresse que des flèches blanches lointaines qui percent le ciel noir. Les mots de ses propres prières lui reviennent en mémoire comme un écho lointain, à demi-perdu.

Les souvenirs de l'époque où il n'était pas encore immortel sont si flous qu'il lui semble qu'il cherche à les voir à travers le voile d'une tempête de neige. Il y avait un homme pourtant. Un homme qui venait du Sud. Oh, il n'avait pas les yeux d'Ilashan, ni sa force de caractère, il ne ressemblait pas à une embûche dressée, à un calice de sang interdit. Mais il avait l'accent chantant des horizons lointains et Sylath était si jeune qu'il était tombé éperdument amoureux.

Aujourd'hui, il ne se souvient même plus de la manière dont il l'a perdu. A-t-il été assassiné ? A-t-il succombé à une maladie du Nord ? Ou est-il simplement reparti en l'abandonnant définitivement ? Le Veilleur a refermé ses mains blanches sur ce souvenir afin d'en estomper la douleur et il n'en reste plus que les contours indistincts.

Mais Sylath se souvient encore de sa prière, c'est elle qui l'a conduit au Temple du Veilleur. Il a imploré le dieu de l'hiver de lui accorder sa bénédiction afin que son cœur blessé ne puisse plus jamais aimer. Qu'une gangue de glace l'emprisonne jusqu'à son dernier battement, et que devenu insensible, il ne ressente plus la douleur d'aimer.

Et le Veilleur avait exaucé sa prière.

Durant quatre siècles, la glace a tenu et l'a protégé de toute chose. Mais il lui semble qu'Ilashan a posé ses mains dessus, sans même le vouloir, peut-être seulement pour l'empêcher d'approcher. Et la glace menace de fondre à ce doux contact.

Alors dans le silence de son cœur froid, l'immortel implore le Veilleur de le protéger à nouveau de la douleur. Ilashan porte en lui le pouvoir de l'Astre et ses rayons sont bien trop dangereux pour le vampire.

Ce sont justement les premiers effets du soleil sur le ciel qui convainquent Sylath de rentrer à la Forteresse. Alors que les étoiles pâlissent et que la voûte blanchit graduellement, le vampire éprouve un réel sentiment d'apaisement.

Lorsqu'il arrive à la forteresse, il est à nouveau très calme.

En traversant les couloirs déserts jusqu'à sa chambre, il tombe nez-à-nez avec Ilashan et cette fois, la douleur que lui cause habituellement le mercenaire ne le submerge pas. Il éprouve à peine un vague pincement, qui pourrait aussi bien être la manifestation des prémisses d'une faim ordinaire. Alors il lui sourit avec soulagement.

— Comment s'est passée ta nuit ? demande-t-il, amusé en ouvrant la porte de leur chambre. J'ai l'impression qu'il y avait de l'alcool et des jeux...

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant