L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neige

126 ~ Ilashan

Soulagé de pouvoir enfin quitter les marches de l'autel, Ilashan suit Sylath sans broncher. Mais au moment de retirer le manteau, il a comme l'impression qu'en plus du poids de l'habit, il y a aussi un peu de chaleur qui disparaît. Encore trop troublé pour y faire vraiment attention, il s'habille sans traîner, appréciant pour une fois ces vêtements qu'il déteste tant. C'est moins chaud que le manteau, mais bien moins solennel, et beaucoup plus couvrant que le peignoir. Ou que les regards pleins de ferveur posés sur sa peau nue.

Le blanc n'est pas une couleur qu'Ilashan a l'habitude de porter, si bien qu'il ne se sent pas tout à fait à l'aise, alors qu'il est pour une fois presque plus vêtu que les autres. D'autant plus que la confusion règne encore dans sa tête, après cette cérémonie plus qu'étrange. Il sent encore la présence fantomatique des doigts et des lèvres de Sylath sur son visage. Les flammes glacées lui rappellent irrémédiablement les yeux bleus que le vampire a posé sur lui en récitant la bénédiction du Veilleur. Mais le spectacle est sublime, et a tôt fait de lui faire penser à autre chose ; ou plutôt, de repousser un peu plus loin le souvenir très désagréable de la cérémonie, au moins pour quelques temps.

La chaleur de la salle lui saute au visage comme une étreinte familière. Le bruit, l'odeur lourde de la nourriture et de la viande cuite, la débauche de lumière et de voix, tout cela lui rappelle d'autres soirs, dans d'autres lieux, bien loin d'ici. Des nuits passées dans le giron d'une auberge ou de la grande salle d'un château, à boire, manger et rire. Séduire, aussi.

Mais en voyant vers quelle table Sylath le mène, il a comme l'impression que cette soirée-là sera bien différente.

Il voudrait jeter à Sylath un regard dépité, mais il est tellement sollicité qu'il est bien forcé de se retenir. Ilashan répond avec tout le savoir-vivre dont il est capable, essayant d'être aussi neutre que possible, et de ne surtout pas grimacer. Néanmoins, il est soulagé lorsqu'ils atteignent leurs places. Un soulagement tout relatif, ceci dit, étant donné sa situation.

— Il va me falloir plus qu'un verre si vous voulez que je reste là toute la soirée.

Jetant un bref regard morne au vampire, il s'empresse pourtant de goûter le contenu de son verre. Ce n'est certes pas du vin, mais la sensation de l'alcool dans son gosier lui évoque la caresse d'une vieille maîtresse, et il en soupire de satisfaction.

Avant de terminer le reste, cul sec.

Les autres humains ont déjà commencé à manger et à boire. Coincé entre Sylath et la femme vampire, Ilashan les observe tour à tour, puis laisse son regard se promener rapidement sur les autres immortels.

Il aurait pensé qu'il serait avec les novices. Il aurait peut-être — après plusieurs verres d'alcool— pu envisager de se dérider un peu à leur contact. Il s'agit de gens du nord, après tout, même s'ils sont bien trop nombreux à son goût à avoir le regard vide et l'air de poupées amorphes. Mais la présence des autres le vampire... le met profondément mal à l'aise.

Cela réveille son sarcasme, son armure personnelle contre le sourire de Sylath. Mais ce dernier doit commencer à avoir l'habitude.

— Rassurez-moi, si je suis assis ici, ce n'est pas parce que c'est moi qui doit servir de repas à cette table ?