190 ~ Ilashan

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Ilashan fronce les sourcils en voyant Sylath reprendre la liste pour recompter manifestement les noms qu'il venait pourtant d'énumérer. Il ne comprend pas tout de suite pourquoi le vampire s'excuse, et devant sa confession, écarquille lentement des yeux.

C'est très étrange d'essayer de l'imaginer... humain. Plus jeune, faible, et ignorant. Pas avec sa prestance, son élégance, le charisme qui émane de toute sa personne, depuis sa démarche jusqu'au timbre de sa voix. Sylath est une incarnation éternelle de puissance et de grâce, aussi séduisante que solitaire.

Certainement pas un jeune homme ignare issu d'une famille modeste.

Et puis, quand Ilashan comprend enfin où voulait en venir le vampire, il ne peut que subir l'embrasement de ses propres joues face à l'embarras qui l'assaille tout à coup.

Ce n'est pourtant pas une tare de ne pas savoir lire. D'autant plus qu'il ne pratique la langue du nord que depuis son adolescence, et que certains des caractères qui la composent sont pour lui un vrai mystère — même s'il n'était pas vraiment plus doué avec les signes de sa langue maternelle. Il y a bien quelques symboles qu'il a appris à reconnaître, au fil du temps ; les mots récurrents, ceux qui indiquent les routes et les auberges, ainsi que les nombres, pour la plupart.

Mais au milieu de tous ces immortels aussi érudits que racés, il aurait préféré que sa propre inculture reste bien cachée, et la voir ainsi accidentellement exposée est une humiliation cuisante. Au point qu'il ne parvient pas à soutenir le regard de Sylath plus de quelques secondes, détournant précipitamment le menton, comme si cela pouvait dérober son visage en feu aux yeux de glace du vampire.

Ilashan sait pourtant que ce dernier ne pensait pas à mal. Il lui est même secrètement reconnaissant de se montrer si compréhensif. Seulement, il ne peut rien faire contre ce sentiment de gêne instinctif.

— Je ne vois pas à quoi ça me servirait, dit-il après un moment de silence.

On ne peut pas regretter ce qu'on ne connaît pas, et Ilashan a le sentiment que ce savoir-là n'est de toute façon pas accessible aux gens comme lui. Il n'en ferait rien d'utile, si jamais il parvenait miraculeusement à le maîtriser. Autant ne pas gaspiller son temps ou celui de Sylath en tentatives infructueuses.

Il se redresse d'ailleurs sans plus tarder, comme s'il redoutait qu'une nouvelle faille ne soit percée à jour dans son armure d'indifférence.

— Je vais vous laisser travailler. Je crois qu'il est temps que j'aille dormir.

Il a conscience que cela doit plutôt donner l'impression qu'il prend la fuite, mais la journée a été plus longue que prévu, et l'alcool ingurgité durant la partie de cartes commence à peser sur son esprit.

Loin de la chaleur de la cheminée, et de la présence déroutante de son hôte, la quiétude de sa cellule l'aide à essayer de surmonter le trouble qui l'assaille encore.

Le soleil s'est levé, le regard d'Ilashan s'attarde sur les monts enneigés. Si aller prendre l'air en pleine nuit à fait un tel bien à Sylath, qui semblait pourtant au plus bas, alors peut-être que ça lui serait aussi bénéfique d'aller respirer dehors.

Pas maintenant, il n'en a ni la force ni l'envie, mais plus tard dans la journée, après avoir dormi.

Et c'est effectivement la première chose à laquelle il pense en se réveillant, plusieurs heures plus tard. Il s'est endormi étonnamment vite et son sommeil a été aussi profond que réparateur. Il constate rapidement, à travers les rideaux refermés avant d'aller au lit, qu'il fait encore jour dehors.

Sans vérifier si Sylath dort encore, ni même manger un morceau ou aller se rafraîchir, Ilashan se lève pour aller enfiler des vêtements chauds. Il ne compte pas aller bien loin, ni même sortir par la grande porte. Mais il se souvient du chemin qu'ils avaient pris pour descendre dans les grottes sous la forteresse. Il y avait des passages vers l'extérieur, des accès empruntés par les humains.

Il ne compte faire que quelques pas dans la neige pour profiter de la sensation du soleil sur sa peau, sans fenêtres entre son visage et les rayons de lumière. Hormis leur rapide excursion au sommet de la forteresse, cela doit faire une dizaine de jours qu'il n'a pas mis le nez dehors et il a comme l'impression que ce n'est pas étranger à son humeur exécrable de ces dernières nuits.

Comme un animal enfermé bien trop longtemps dans une cage obscure, le monde extérieur lui manque désespérément.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant