104 ~ Ilashan

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L'espace d'un instant, Ilashan est persuadé que Sylath va succomber, et refermer ses doigts frais sur les siens pour aspirer le sang qui y perle doucement. Il a ce même genre de sourire calme qui précède d'ordinaire les remerciements sincères ou les joies simples de la vie.

Et pourtant, le vampire refuse.

Ilashan ne cherche pas à savoir pourquoi, récupérant vivement sa main pour suçoter de nouveau la plaie, jusqu'à ce que le sang cesse d'en perler.

« Je ne vais pas réitérer ».

Il avait presque oublié que Sylath avait déjà goûté son sang. Il ignorait à cet instant que son hôte et bourreau était une telle créature, n'avait pas encore interprété les signes ni été témoin de l'un de ses repas — chose qui était survenue quelques minutes à peine après sa douloureuse punition.

Pourtant, Ilashan est loin d'avoir oublié. Il se souvient même encore très clairement de la sensation de sa langue sur sa peau meurtrie, de la douleur intense qui l'avait empêché d'être aussi écœuré qu'il aurait dû l'être. Il a le sentiment que le refus de Sylath ne s'est fait qu'à contrecœur, et coûte bien plus au vampire que son sourire tranquille ne le laisse présager.

Et cela lui procure une satisfaction coupable.

Aussi, il ne cache pas sa perplexité quand Sylath lui fait signe de le suivre jusqu'à la salle d'arme.

Il lui en avait parlé, mais l'humain est surpris qu'il l'y amène maintenant. Le lieu est grand, fonctionnel, et si fourni en armes qu'Ilashan a aussitôt envie d'en saisir une pour se dégourdir les membres. Est-ce que les vampires s'en servent souvent ? La pièce est entretenue, mais il n'y décèle pas de signes évidents d'activité. Tout à sa curiosité, il ne remarque pas tout de suite que Sylath s'est approché d'un coffre et commence à en sortir d'étrange morceaux d'étoffe. Ce n'est que lorsque la première lame brille dans la lumière des torches que le cœur d'Ilashan rate un battement.

— Est-ce que vous êtes sérieux ?

Il s'approche sans oser y croire. Il ne sait dire à vue d'œil si les épées sont vraiment ensorcelées, mais elles restent des armes splendides, même à l'abri dans leurs fourreaux. L'épée bâtarde l'attire si naturellement qu'il pose la main sur la poignée sans même s'en rendre compte. Quand il soulève la lame, il est d'abord déstabilisé par son poids, l'espace d'une seconde ; et puis, l'instant d'après, l'arme lui semble aussi parfaitement équilibré qu'ajustée à son bras. Le souffle court, il l'attrape à deux mains pour la dégainer, sentant sous sa peau la fraîcheur qui semble irradier de l'acier à travers son fourreau.

Mais par-dessus l'épée, son regard croise celui de Sylath.

Un homme au cœur noble aurait reposé l'arme et refusé l'offrande. Il sait déjà ce qu'il devrait dire au vampire. Que ce qu'il a fait ne mérite pas un présent pareil, qu'il ne réclame rien d'autre que la liberté, et qu'il ne se laissera pas acheter ni amadouer à coup de cadeaux et d'épées enchantées.

Mais Ilashan est un mercenaire. Opportuniste par définition. Il sait qu'il ne refermera pas deux fois sa main sur une telle lame au cours de sa vie. Et qu'il serait fou de la refuser pour une question d'honneur et de principe.

— Ça ne changera rien à mon point de vue. Ni à mes décisions.

Il ne compte pas se remettre en question à cause de ce don supposément désintéressé. Il n'a aucun scrupule à passer pour un ingrat, pas contre une épée d'une telle facture.

Il y a bien une chose qui le taraude, mais elle est d'une toute autre nature. Ilashan baisse les yeux sur les autres lames, à peine dévoilées. Il saisit la rapière sans hésitation. Une arme de noble, légère, effilée. Il la tend à Sylath sans détacher son regard du sien.

— Mais c'est inutile de me l'offrir maintenant si elle doit passer les trois prochains mois dans un tiroir.

Il en vient à regretter d'avoir choisi de porter cette tenue de novice. Elle n'est absolument pas faite pour croiser le fer, et il sait qu'il n'a de toute façon aucune chance contre Sylath. Pire, cela risque d'être une humiliation cuisante. Même s'il était en pleine possession de ses capacités, il sait qu'il ne ferait pas le poids une seule seconde contre le vampire et sa force brute.

Mais il en a envie. Il en a besoin. Même si cela ne doit durer qu'un instant, avant que son dos ne rencontre brutalement le sol.

Si violemment besoin qu'il dégaine son épée pour se mettre en garde.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant