186 ~ Ilashan

2.4K 217 7
                                    

Sylath a prouvé qu'il n'userait plus de sa supériorité physique pour contraindre Ilashan à quoi que soit. Le mercenaire ne sait toujours pas s'il se sent capable de le pardonner et de cesser de lui en vouloir, mais c'est en tout cas suffisant pour qu'il puisse s'asseoir à quelques pas de lui sans être tendu comme la corde d'un arc.

Ce n'est pas non plus comme s'il s'était installé tout contre lui.

Quant à sa technique, il songe qu'elle a surtout été forgée par son instinct de survie. Eviter à tout prix d'être en position de faiblesse, porter les coups avant d'en recevoir. Un peu comme son actuelle conversation avec Sylath.

Ilashan saisit, à la froideur du vampire, que sa proposition l'a vexé. Mais il ne comprend pas pourquoi.

Ou plutôt, si, il peut entendre que ses paroles sonnent peut-être comme un blasphème dans le temple du Veilleur. Mais il a parlé à ces gens. Il a mangé et bu avec eux, dormi sous leurs toits.

Sylath, lui, n'a les yeux tournés que vers son dieu de l'hiver, et le cœur pris dans une épaisse gangue de glace.

— Peut-être qu'ils n'étaient pas si bien que ça ici, s'ils ont préféré partir.

Ilashan affronte Sylath du regard, avec aplomb. Il peut concevoir que les novices se sentent bien dans la forteresse, mais il comprend encore plus ceux qui n'ont pu accepter cette vie de réclusion, privée de tout libre arbitre.

Et à cet instant, il ressent lui aussi de plein fouet les barrières qui les séparent.

Ils sont tellement différents l'un de l'autre qu'il doute pouvoir convaincre le vampire, tout comme ce dernier ne réussira sûrement pas à lui faire entendre raison. Mais ça ne l'empêchera pas de lui exprimer ce qu'il pense de tout cela, quitte à contrarier un peu plus son hôte.

— Et quand bien même, les villageois d'aujourd'hui n'ont pas à payer pour les erreurs de leurs arrières grands-parents. Si vous ne voulez pas leur mentir, alors dites-leur la vérité. Il y en a sûrement des centaines qui seraient prêts à vous rejoindre s'ils entendaient parler de cette Forteresse. Ils n'ont pas tous oublié leur ancienne foi. À moins que le Veilleur ne veuille plus d'eux ici ?

Il soutient sans ciller le regard de glace du vampire, conscient de sa propre impertinence, mais bien trop révolté par cette situation pour garder son ressentiment pour lui.

Ce n'est pas Sylath qui a dû écouter ces gens parler de leurs proches disparus, entendu leurs plaintes, éprouvé leur douleur. Cette grand-mère qui n'avait plus la moindre nouvelle de sa petite-fille après la mort de ses enfants. Cet oncle trop malade pour partir lui-même à la recherche de son neveu. Cette sœur qui n'avait pu abandonner ses propres enfants pour se rendre dans le village voisin, où était supposé vivre son frère avant sa disparition.

Ilashan a été contraint de s'endurcir face à la souffrance humaine. D'autant plus qu'il n'a jamais su ce que c'était que d'avoir une famille à chérir. Mais même lui peut encore éprouver de l'empathie, et il ne peut pas concevoir qu'un homme pieux comme Sylath n'en soit pas capable.

— Je sais que vous ne pouvez pas mourir, mais ces gens-là ont besoin de faire leur deuil. Vous devriez pouvoir le comprendre.

Il finit par soupirer, en secouant la tête, presque vexé par les reproches du vampire. Ce n'est pas agréable d'être dans la position du monstre sans cœur. En cela, il peut comprendre Sylath, et se sentir presque coupable pour sa propre attitude, si hostile envers les immortels.

Presque.

— Et je ne sais pas pourquoi vous êtes si persuadé que je vais envoyer tous les soldats du Nord à vos trousses une fois que je serais parti. Même si j'en avais envie à ce point, j'ai déjà suffisamment de morts sur la conscience.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant