1 ~ Sylath

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— La tempête n'est pas venue à bout de celui-là.

La Tempestaire pointe du doigt une ombre errante entre les monts de glace. Sylath n'a pas besoin qu'on la lui montre, il l'a bien vue, mais il reste silencieux. Parmi les êtres humains fragiles et vains, ceux qui n'ont ni destin, ni but, il y en a parfois un qui sort du lot, qui a la force de se relever quoi qu'il arrive. Ces être-là sont les plus dangereux, ils sont souvent ceux qui changent la donne.

— Et les autres ? demande-t-il finalement.

— Ils ont été dispersés. Quatre se sont mis à l'abri dans une cavité à l'intérieur de la roche. Les trois autres sont morts de froid. Mais celui-là a réussi à passer la nuit.

En général, l'ordre du Veilleur éloigne les humains trop curieux grâce à la magie de la Tempestaire, qui déclenche les tempêtes, ou grâce au Voirloup qui entraîne les meutes de loups sauvages sur les traces des indésirables.

Mais cette fois-ci, la tempête n'a pas suffi à éloigner l'un des intrus, et il est proche, trop proche du Temple pour que l'ordre le laisse repartir. De l'endroit où il se trouve, on devine déjà les flèches de glace de la forteresse qui dépassent de l'autre versant de la montagne.

— Disons qu'ils sont quatre à être morts de froid, dit Sylath de sa voix profonde.

Ses mots sonnent comme une condamnation à mort et d'une certaine manière, c'en est une. L'homme téméraire qui marche dans leur direction ne reverra jamais les terres hospitalières qu'il a quittées pour se perdre dans cet enfer de neige et de froid.

— Je te laisse t'en occuper, répond Boréa qui se détourne déjà.

Le destin de cet inconnu qui bascule sous leurs yeux les laisse indifférents. Quand ils capturent un innocent, ils éprouvent toujours une pointe de remords, mais quand quelqu'un s'obstine à les traquer, il n'y a pas de raison de pleurer sur son sort.

Sylath se laisse chuter du promontoire rocheux et atterrit dans la poudreuse. Il prend tout juste le temps d'épousseter son manteau blanc après la chute vertigineuse, puis il se remet en marche ; rien ne peut blesser les immortels, excepté le soleil. Mais il est déjà tombé derrière la montagne et les premières étoiles percent déjà de leur blanc trop pur le ciel bleu glace. La magie du Veilleur est d'une beauté à en mourir. C'est ce que Sylath a fait d'ailleurs.

Le vent rabat dans sa direction l'odeur de l'homme qui vient vers lui. Il ignore si l'intrus l'a déjà remarqué. Que fait-il ici, loin, si loin des terres habitées, avec son courage insolent et sa chaleur qui flotte dans l'air comme une magie impure et tentatrice ?

Sylath arrive finalement à sa portée et s'arrête sur un rocher plat, légèrement en hauteur par rapport à l'endroit où marche l'étranger. Il a conscience d'être un fantôme blanc avec sa peau lunaire et son manteau qui tombe jusqu'à ses pieds, dissimulant ses cheveux noirs dans une profonde capuche.

— Bonsoir, l'ami, l'interpelle-t-il de sa voix profonde quand l'autre arrive assez près pour l'entendre. Les visiteurs sont rares ici et vous devez mourir de froid. Jusqu'où allez-vous comme ça ?

La voix vibre dans l'air, avec l'accent riche d'une autre époque dont il ne parvient pas tout à fait à se débarrasser. Et quand il croise enfin le regard de l'étranger, il comprend : aucune tempête de glace ne peut venir au bout de cette ardeur.

Et pour la première fois depuis très longtemps, il sent monter en lui un intérêt nouveau, une sensation plaisante de surprise et curiosité, et il ne regrette pas que cet imprudent ait emprunté la route effacée qui mène à la Forteresse des neiges.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 1) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant