💙 Chapitre 4 (Thibault)

103 13 1
                                    

La voiture, une Ford, s'arrêta devant le garage de la nouvelle maison. C'était une vieille bâtisse victorienne située dans les axes éloignés du centre-ville de Sunset Valley, la petite ville où la famille Gordon venait d'emménager. La maison, en bois peinte bleue ciel, se situait sur Devis Street dans le quartier paisible d'East Hill, en montée des collines environnantes, ombragée par de grands sapins centenaires.

Thibault, écouteurs aux oreilles, regardait depuis son siège la vieille maison avec un brin de remords. Elle lui faisait froid dans le dos, avec son large porche, ses volets, sa petite tourelle octogonale, ses bow-windows et ses chiens assis aux fenêtres voilées. Il n'aimait pas cet endroit. Il ne le sentait pas. En fait, il n'avait jamais aimé aucun endroit au monde, aucune ville par lesquelles il était passé avec ses parents jusque là. Mais cet endroit-là, il l'aimait encore moins. Une petite ville paumée au fond des collines du Nord-Est du Maine... Non, ça ne lui disait rien, franchement. Plus il s'éloignait de sa ville natale, moins il aimait. C'était tout ce qu'il y avait à savoir ; d'autant plus quand il arrivait dans sa nouvelle ville seulement quatre jours avant la rentrée scolaire (on était actuellement le samedi 31 août).

Fils unique, il en avait vu défiler des nouvelles maisons des ''chez-soi'', sans jamais avoir pu s'attacher réellement ; il savait aussi que ce n'était pas aujourd'hui qu'il s'y attacherait. Il était né à Augusta, voilà dix-sept ans en arrière... Et voilà que lui et ce qu'il restait de sa famille emménageait dans une sixième ville. « La dernière », que sa mère disait, mais à chaque ville c'était toujours le même cirque et ils finissaient pas repartir quelques mois ou quelques années après – s'ils étaient chanceux.

Son père, tout sourire, cessa le moteur de la voiture et s'exclama d'une voix entrainante : 

"On est arrivé !"

Il se tourna vers Thibault, tête baisée.

"Alors, ça te plait, ici ?"

D'un mouvement lent d'épaule, le jeune garçon répondit. Sa mère, dont le court sourire s'était figé, tenta de lui offrir ses ''ondes positives'', car elle était très inquiète à son sujet. Et ce depuis un certains temps déjà.

"Thibault... C'est un nouveau départ, OK ? Ce qu'il s'est passé à Howland et à Augusta est finit, on reprend tout à zéro, d'accord ? Regarde cet endroit paisible, cette grande maison ! On va être bien, tu ne penses pas ? Et puis, le centre-ville est tout aussi coquet, n'est-ce pas ? Pas vrai, Carl, c'est beau, hein ?

- Oh oui, en plus regarde dans quel magnifique coin tranquille on s'est installé ! Une petite ville calme de pas plus de 5 120 habitants, c'est parfait !

- Comment tu sais ?

- Wikipédia. 

- Ah."

Thibault, n'en pouvant plus de ces sourires forcés et de ces petites phrases sans aucun but ouvrit brusquement la portière et sortit, sacoche autour des épaules.

"Thibault, tu vas où ?

- Déballer les cartons, peut-être ?"

Le jeune homme claqua la porte, et remonta le chemin jusqu'au large perron tout de bois de la vieille bâtisse. Il disparut derrière la maison, écouteurs toujours branchés dans les oreilles. 

Quand il eut disparut, sa mère lâcha un grand soupir.

"Il ne sera donc jamais content ? 

- Chérie, ce qu'il a vécu et ce qu'il a comme maladie, c'est...

- Je sais parfaitement ce qu'à vécu mon fils, Carl. Je m'inquiète pour lui. Il n'est pas comme... Comme les autres. Il ne rigole jamais, sourit à peine... Je pensais qu'il voudrait un lieu calme, petit, loin de tout... 

Nuits PourpresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant