💙Chapitre 20 (Thibault)

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Thibault, les mains de ses parents encrés dans ses épaules et le poussant, passa la porte du bureau de la seule et unique psychologue de Sunset Valley alors que l'horloge de la salle d'attente sonnait froidement quatorze heures en ce vendredi treize septembre. Il était entré il y avait désormais une trentaine de minute dans ce petit cabinet d'aspect austère et tout de brique rouge, forcé jusqu'au bout par ses parents, l'envie ayant fuit avec le beau temps. C'est pour ton bien qu'ils disaient. La seule chose que Thibault voyait, lui, c'était un gouffre, un gouffre profond où ses plus noirs secrets viendraient le prendre par la taille, viendraient l'embraser et le forcer à tomber avec eux. Il ne voulait pas parler. Il ne voulait pas se libérer. Il ne voulait pas se confesser

La femme était là. Assise dans un fauteuil de cuir noir, jambes croisées, petite tablette sur ses genoux, lunettes pendant au bout de son nez, le visage décomposé par les rides, par la vieillesse...

Par la mort de sa fille, Lui insuffla une voix dans sa tête.

Nessa Deloire ressemblait beaucoup à sa défunte fille, Alice Deloire. Sauf que cette femme-là qui se tenait devant Thibault était plus vieille, détruite par le chagrin, par le remord, par ces mots qui aujourd'hui devaient la hanter : 

"Aucun parent ne devrait avoir à enterrer son enfant."

Et Thibault allait devoir se confesser à elle, à cette femme, à cette mère. Il allait devoir se confesser à la mère de cette fille qu'il avait... Qu'il avait tué. 

"Bonjour, Thibault."

La femme le regarda, et un sourire presque invisible, presque mort se dessina sur ses lèvres humidifiées par les pleurs.

"Tu sais sûrement pourquoi tu es là, pas vrai ?"

Ses parents quittèrent la pièce, et Thibault - sans enlever sa veste - acquiesça lentement en s'asseyant sur le long canapé devant lui (comme dans les films, exactement comme dans les films !)

"Tu peux t'allonger, si tu le souhaite."

Thibault refusa catégoriquement. S'allonger, c'était pour lui battre en retraite, laisser l'ennemi entrer en lui. Il se défendrait, et ne dirait rien. 

"Bien, commençons donc... Pourquoi es-tu venu vivre ici, Thibault ?"

La femme le fixait intensément, comme si par son travail elle voulait oublier le cauchemars qu'elle trouvait le soir en rentrant chez elle : sa fille était morte. Thibault regarda la pièce, sobre, sans aucun signe de vie heureuse, d'une vie quelconque même. Pas un tableau, pas un portrait, rien qui pouvait remémorer Alice Deloire. 

"Je... Mes parents m'ont emmenés ici."

Son ton se voulait le plus froid possible, et cela semblait amuser (mais pouvait-elle encore être amusée?) Nessa Deloire, comme si elle disait avec le bout de ses lèvres : ''tu n'es pas le premier à tenter de te renfermer comme une coquille vide, et le hic c'est que ce n'est pas vide, au contraire, et ce trop plein je vais m'efforcer de l'écarteler jusqu'à ce qu'il sorte. ''

"Et pourquoi donc ? Fit-elle.

- Parce qu'ils en avaient envie.

- Tu en es sûr ?

- Nan nan je raconte des conneries."

La psychologue haussa d'un sourcil, puis sortit une pochette.

"Tes parents m'ont parlé de votre vie à Augusta puis des autres villes le long de vos voyages jusqu'à la frontière du comté de Penobscot, et je pense que...

- S'ils vous ont tout raconter, alors il n'y a plus rien a dire."

Thibault se leva, mais la femme l'arrêta en répondant d'une voix qu'il n'avait jamais entendu jusque lors. Une voix brisée par le regret.

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