Nuits Pourpres

💙Chapitre 64 (Thibault)

Le soleil venait à peine de passer derrière East Hill lorsque les décorations de la bâtisse peinte en bleue de style Queen Anne, sur Devis Street, s'allumèrent une à une. Louise, après avoir versée son lait-de-poule dans de grands verres et s'être assurée que son jambon de Noël cuisait bien, sortit la maison en pain d'épices du frigo ainsi que les Christmas Candy qu'elle apporta jusque dans le séjour où étaient assis Carl et Thibault. Le haut sapin, dans le coin, était resplendissant mais ne cachait en rien le village de Noël qu'elle avait méticuleusement installée un mois auparavant. Carl avait allumé la musique sur la chaîne hi-fi, et c'était en ce moment l'album d'une chorale de Noël qui passait et qui chantait Silent Night ainsi que Gloria In Excelsis Deo ou We Wish You A Merry Christmas. L'Elf on the Shelf était désormais posé au-dessus de la cheminée et des chaussettes de Noël. 

"Joyeux réveillon de Noël, mes amours !"

Thibault se servit un verre de lait-de-poule et salua sa mère avec un faux sourire. Il avait même fait l'effort de porter la belle tenue qu'elle lui avait déposée au pied de son lit, juste pour mieux cacher l'angoisse colérique qui tétanisait ses membres, ses sens et ses pensées depuis sa dernière sortie au Great Lake. Il revoyait encore la scène, sur les rives du lac gelé, les enfants jouant au hockey, lui avouant ce qu'il était en découvrant avec délivrance que ses amis n'allaient pas l'abandonner comme les autres... Puis le goûter, le drap blanc, les morceaux de tissu et toutes ces histoires de meurtre et de sectes qui convergeaient vers la seule personne qui savaient pour leurs transformations : Gregor Mastema. 

"Thibault ? Tu as pris ton médicament ?"

Thibault, arracha ses yeux suspendus au village miniature pour se tourner vers sa mère. Il hocha lentement de la tête et, discrètement, enfouit ses mains sous ses jambes pour étouffer leurs spasmes.

"O-oui. Tout va bien, maman."

Sa mère lui sourit ; elle semblait soulagée et heureuse, d'une joie qu'elle n'avait plus affichée depuis un long moment. Son père aussi souriait, comme s'il ne voyait pas qu'il était manipulé par ses propres collègues, comme si Thibault était le seul ici à ressentir, à voir que cette maison était bien trop vaste et bien trop froide pour eux trois, et ce même malgré toutes ces insignifiantes décorations reluisantes. 

"Bon ! S'exclama-t-elle, Et si nous passions à table ?

- Excellente idée, chérie ! Je vais aller chercher le Beaujolais Nouveau à la cave."

Thibault, sans mot, aida sa mère à déposer sur la table de la salle à manger décorée les plats du repas du réveillon : le gratin de patates douces, le jambon à l'ananas et bien entendu la dinde de Noël garnie de marrons grillés. 

La petite famille se mit à table sous le Jingle Bell de Frank Sinatra et commença à se servir ; pour l'occasion, on avait ressortit les verres en cristal, et la table en bois était recouverte d'une belle nappe rouge et verte. La maison en pain d'épice et la casserole de lait-de-poule avaient aussi été amenés. Carl servit du vin à sa femme, mais Thibault se contenta d'un cocktail aux épices. Il se servit très peu de chaque plat ; une douleur lui nouait l'estomac, liée à cette affreuse image qu'il avait de Maya, seule au milieu de Sunset Wood en l'unique compagnie du mentor... 

Tout va bien, on a peut-être fait erreur... Tentait-il de se persuader, en vain. Tout va bien, Thibault. Maya va bien, nous avons fais erreur, et je vais bien... 

Allait-il vraiment bien ? Non. Rien n'allait bien. Il avait enfin révélé son vrai visage à ses amis, soit ! Mais ce n'était pas pour autant qu'il parvenait à avaler ses cachets, ce n'était par pour autant que cela lui épargner ces effets secondaires qu'il subissait, chaque jours un peu plus forts. Et puis ces fêtes de fins d'années avec leurs décorations et leurs chants et leurs repas garnis... Thibault n'en pouvait plus. Tout ce qu'il voulait, c'est d'être avec ses amis, de se sentir protéger avec eux mais surtout de savoir que Maya allait bien.