💚Chapitre 59 (Charlie)

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La nuit avait dégagée le ciel, et désormais les étoiles et la lune réverbéraient sur les centimètres de neige tombé dans la vallée une pâleur luisante lugubre. Alors même qu'un klaxon lointain résonna au fin fond des bois - le klaxon d'un train de marchandise de la compagnie CMQ dans lequel Léon Wheeler était monté - la chouette rayée qui se tenait posée sur le grillage qui délimitait Sunset Wood Road de la décharge municipale s'envola d'un coup d'aile dans les airs après s'être assurée que le gardien exécrable de la décharge (un certain Liam Jerrad) avait fini par crouler sous les nombreuses bouteilles de gnôle qu'il s'enfilait tous les soirs. 

La chouette rayée (connue éveillée sous le nom de Charlie Carston) avait dû attendre la tombée de la nuit pour rejoindre la décharge municipale qui se trouvait au nord entre le cimetière de Mercy's Hill et la clinique vétérinaire Wheeler car le bienheureux Liam Jerrad lui avait refusé l'entrée la veille, durant le vendredi 13 décembre, en s'exclamant qu'il ne laisserait pas une matricide et une coupable d'autres innombrables meurtres fouiller dans ses carcasses de voitures empilées au fond de la décharge délimitée par un simple grillage métallique. Charlie s'était donc vu dans l'obligation d'attendre la tombée de la nuit et du sommeil pour revenir, sous peine que le bon vieux Jerrad appelle les flics. 

La chouette rayée planait donc au-dessus de l'aire en terre battue cubique qui longeait la Sunset Wood Road, à la lisière de la forêt, où s'amoncelaient meubles cassés, vêtements et objets usés, pneus dégonflés et carcasses de voitures brûlées, dans l'espoir de repérer celle qui l'intéressait. La voiture en question (une vieille Buick Estate de 1996) avait été déposée à la décharge le 24 novembre, soit un mois après avoir été gardée par la police dans l'espoir vain de trouver une trace de la personne qui avait assassinée la propriétaire de cette Buick, Carol Whittaker. Et Charlie n'eut pas du mal à la retrouvée.

La Buick, totalement calcinée et plus qu'un squelette noir et rouillé, tenait tout en haut d'un monticules de vieilles voitures écrasées destinées à la destruction. Sa forme plutôt longue et aplatit permis à la chouette de la reconnaître. Elle tomba en pic et vint se poser sur le long et large capot noirci par les cendres. Elle tourna sa tête et ses grands yeux noirs comme le vide en direction du cabanon du gardien de la décharge pour s'assurer que celui-ci ne sortirait pas en courant dans sa direction, un fusil dans la main (la fois chez Brandon Dontley, suspect numéro un dans le meurtre de Whittaker, lui avait suffit) puis se retourna vers la voiture calcinée. Pendant de longues minutes elle vola autour, se posa sur le toit, sur les portières éventrées, observant tout ce quelle pouvait observer, insensible à cette nuit de décembre glaciale et dégagée, insensible aux conifères couverts de neige et à cette décharge muette et retirée du centre-ville, écartée de la ville lumineuse et pourtant toujours autant silencieuse depuis le couvre-feu de 19h30. C'est alors qu'elle tentait d'ouvrir de force le vieux coffre qu'elle découvrit un bout de tissu blanc incrusté dans la carrosserie et grisé par les cendres. La chouette s'en empara et le secoua. Il semblait avoir été autrefois blanc. 

Charlie ne su pas si c'était cela qu'elle était venue voir, mais ne trouvant rien d'autre à la vieille Buick, elle décida de s'en retourner en direction de West Street alors que le ciel se couvrait de nouveau et que la lune commençait à tomber dans l'ouest, le morceau de tissu écrasé entre ses serres.

~

Quand Charlie rouvrit les yeux dans son lit - des yeux non plus noirs mais marrons - ce fut en sursaut. Elle eut une brutale et violente envie de vomir et recracha ses trois repas précédents dans les toilettes de sa miteuse salle de bain, tremblante. Ses membres lui faisaient un mal de chien (ou de chouette) et elle sentait que sa tête pouvait se tourner, se tourner entièrement. Sauf qu'elle ne tenta pas de le faire par peur de réaliser qu'elle avait raison, par peur de voir la vérité en face : les transformations ne la laissaient pas indemne.

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