Chapitre 6 | 1

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Musique proposée : Ghost - Jacob Lee. (En média).



Quelques rayons lumineux viennent chatouiller mes joues et je peine à ouvrir les yeux. Pendant une fraction de seconde, je laisse le bien-être m'emporter. Pendant une fraction de seconde, j'oublie tout. J'oublie qui je suis, j'oublie ce que je vis, j'oublie ce que j'ai vu, je me contente de profiter de la chaleur du corps de West qui enveloppe le mien. Je me délecte simplement du sentiment de sécurité qui émane la régularité de chacun des battements de cœur que j'entends à travers le tissu noir de son tee-shirt. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive, je ne sais pas pourquoi le contact de son bras autour de mes épaules et de ma joue contre son torse me font cet effet-là, mais je n'ai pas envie de le savoir. Je n'ai pas envie de me poser la moindre question. Je veux juste me laisser bercer par sa respiration paisible et rester blotti contre lui encore quelques minutes.

Après avoir profité d'un bien-être nouveau, je trouve enfin la force de libérer mes pupilles, mais me perds une nouvelle fois. Les profondeurs marines me submergent et je me laisse noyer par le regard de mon coéquipier. A cet instant précis, plus rien n'existe au monde, même pas le monde lui-même. Tout s'est évaporé et j'ai l'impression de ne plus être moi. Je ne suis plus Wayne Singer, l'abruti de vingt-trois ans qui travaille pour l'un des tueurs les plus influents de Manhattan, mais seulement un gamin perdu qui redécouvre comment respirer sans se faire étouffer par l'angoisse dans les bras d'un type qui le rassure. Je crois que je n'avais jamais ressenti une chose pareille. Ce sentiment de plénitude, d'apesanteur et de paix intérieure alors qu'à l'extérieur, tout se fissure, tout menace de s'écrouler.

― Tu te sens mieux ? me demande-t-il d'une voix rauque et ensommeillée.

Mes paupières se rabattent brusquement sur ma quiétude illusoire pour me replonger dans l'obscurité de la réalité et j'ai de nouveau l'impression que tout s'effondre. Comme si j'étais posté devant une vitre cristallisée qui reflétait l'image d'une mer calme et turquoise et que les mots de West venaient de la désagréger pour me contraindre à observer la tornade violente qui ravage en vérité ces eaux sombres devenues rouge sang. Je lui lance un coup d'œil, l'air grave et il inspire longuement, comprenant tout à fait ce qui se cache derrière mon silence.

Dans un mouvement léger, il se redresse pour s'asseoir contre le mur bleu clair de ma chambre et je fais de même. Son bras effleure le mien et je me surprends à frissonner à ce bref rapprochement. Il s'étire dans un bâillement discret, tandis que j'observe ses muscles se gonfler sous sa peau badigeonnée d'encre. Lorsque ses deux saphirs brillants se reposent sur moi, je le quitte rapidement des yeux en attachant mes cheveux en bataille en un chignon pour reprendre contenance.

― Je ne savais pas que tu étais tatoué, reprend-il en lorgnant sur mon papillon, m'arrachant au passage un sourire sincère.

― Je me le suis fait faire à ma majorité. Ça a été mon premier, annoncé-je fièrement.

― Il a une signification particulière, pour toi ?

Mes lèvres se relèvent de nouveau lorsque l'image de ma petite sœur d'à peine deux ans me revient en mémoire. Je la revois encore, assise sur son tapis de jeu, en silence, avec nos parents qui tentaient vainement de la faire parler. Savannah savait marcher ainsi que reconnaître les formes et les couleurs. Elle était curieuse, elle cherchait le contact, elle jouait seule ou avec les autres, elle nous écoutait même lui raconter des histoires, mais elle ne formait aucun autre mot que « popa » et « mama ». Ça inquiétait énormément papa et maman, pourtant, moi, je trouvais ça admirable. J'admirais ma sœur, parce que déjà, à cette époque, elle préférait prendre son temps et faire à son rythme, plutôt que de suivre les envies de nos géniteurs. Chose que je n'ai jamais su faire. Je n'ai jamais su passer outre leur volonté, je n'ai jamais su faire autre chose que ce qu'ils avaient prévu pour moi. Et puis, de toute façon, du haut de mes neuf ans, j'étais sûr qu'elle n'avait pas besoin de parler pour comprendre. Elle n'était pas bavarde et ce n'était pas un drame.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant