Chapitre 9 | 1

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Musique proposée : Will I Make It Out Alive - Tommee Profitt ft Jessie Early. (En média).


Il est dix-huit heures dix quand je débarque dans la Réserve, complètement à bout de souffle. Je dois absolument trouver West avant que Ian ne le punisse pour quelque chose dont il n'est pas responsable. J'avance d'un pas pressé, sans prendre le temps de respirer : il faut que je me dépêche, je refuse d'arriver trop tard. Cette fois, je ne me pose aucune question, je crois savoir où je dois aller pour obtenir les informations que je cherche. Je m'approche rapidement du Ravitaillement, certain d'y trouver Gale dans un costume un peu trop chic à tirer sur son nœud papillon toutes les cinq minutes. Je ne suis pas totalement sûr de mon coup, mais la dernière fois, il avait l'air plutôt au courant de ce qui arrivait à West, alors je suis presque convaincu que c'est encore le cas aujourd'hui. Et puis, si j'ai bien compris, ils ont été plutôt proches tous les deux, à une époque, alors avec un peu de chance, ils le sont toujours et Gale sait exactement où est notre ami commun.

Étonnamment, lorsque j'arrive à sa hauteur, toute ma détermination s'évapore. Je reste là, planté devant le bar sans rien dire, à le regarder servir des bières à des gosses qui feraient mieux de boire du jus d'orange. J'ai appris tant de choses à son sujet depuis la dernière fois que j'ai l'impression de le voir sous un autre jour. Ce n'est plus le sale type qui tenait Nicolas avant son exécution que j'observe s'affairer, mais le gamin attentionné qui a aidé un petit garçon à dire adieu à sa mère et aussi l'homme qui a réussi à faire fondre les barrières en acier de ma sœur. Je réprime une grimace rien que de l'imaginer avec Savannah, en tentant de toutes mes forces de ne pas me demander quel âge il peut bien avoir ou depuis combien de temps il est avec Sacha. Remarquant que je le fixe sans articuler quoi que ce soit, Gale me montre l'ascenseur du menton, l'air dur.

― Cinquième étage, salle quarante.

Pris de court, je cligne plusieurs fois des paupières pour me ressaisir et hoche la tête pour le remercier, toujours plongé dans mes pensées. Je jette un œil à la machine que le barman m'a indiquée et le visage de West, dégoulinant de sang et de larmes, m'apparaît subitement, réveillant mon corps figé en une fraction de secondes. Je me précipite à l'intérieur de la cabine en courant comme un dératé à travers la Réserve et appuie des dizaines de fois sur le bouton cinq, comme si ça pouvait obliger les portes à se fermer plus vite. Mes mains se mettent dangereusement à trembler et je tape nerveusement du pied en voyant les chiffres des étages défiler au-dessus de moi. Plus cet appareil monte, plus j'ai l'impression que je vais changer d'avis et battre en retraite au dernier moment. Plus je me rapproche de l'instant fatidique où je devrais sûrement rencontrer la mort pour un dernier face à face, plus je sens une pression insurmontable me broyer la poitrine.

Je suis tellement concentré sur mon angoisse que je sursaute presque lorsque la sonnerie de la cage en ferraille retentit. La peur me pétrifie, mais je m'oblige tout de même à mettre un pas devant l'autre pour parcourir le couloir et rejoindre West. Mes prunelles se perdent dans l'amas de nombres qui s'affichent devant elles, cherchant désespérément un quatre et un zéro. Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression de le sentir jusque dans mes tempes. Je ne sens plus que lui et les spasmes qui parcourent l'entièreté de mon pauvre corps fébrile. J'appréhende ce que je vais voir, ce qu'on va me faire. Je ne suis pas sûr de supporter de les regarder torturer West encore une fois. Je ne veux pas le voir dans le même état qu'hier et, surtout, je refuse de le voir agenouillé sur une bâche blanche. Ça ne peut pas lui arriver, pas comme ça, pas à cause de moi. Pas à lui...

Des hurlements explosent dans le couloir vide, comme une étincelle de déjà vu. Je cesse de me focaliser sur les numéros des salles, je me contente d'accélérer le pas et de suivre les voix coléreuses qui résonnent autour de moi. Je m'arrête devant la salle quarante, m'apprête à poser ma main sur la poignée, quand le ton menaçant de Ian me stoppe net. Je laisse ma paume s'immobiliser dans les airs en écoutant attentivement les mots qui fusent jusqu'à moi comme des balles de révolver : instantanément, mais avec une violence inouïe.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant