Chapitre 10 | 1

195 33 173
                                    

Musique proposée : Burn - Nathan Wagner. (En média).


― West, s'il te plait...

Ma voix s'éteint et West continue de faire des allers-retours frénétiques dans tout mon appartement. La chaîne argentée qui pend à son pantalon noir claque contre sa jambe à chaque fois qu'il fait un pas et ses mains passent de son visage au creux de sa nuque en ébouriffant ses cheveux sur leur passage sans arrêt. Ses gestes transpirent une angoisse qui semble envahir la pièce toute entière et je n'ai pas la moindre idée de ce que je pourrais bien faire pour le calmer.

Ça va bientôt faire un mois et demi que je prie le ciel, que je prie Dieu, que je prie quiconque pourrait m'entendre. Ça fait plus d'un mois que je supplie l'univers de toutes mes forces pour que le sort arrête de s'acharner et que West puisse enfin mettre son fameux plan à exécution, mais rien n'y a fait. Personne ne m'a écouté, personne n'a même essayé de nous laisser une seule petite chance d'avoir un coup d'avance : Ian a frappé le premier.

― S'il te plait quoi ? Ils veulent s'en prendre à mon fils, Wayne. Mon fils ! s'insurge-t-il, tandis que sa voix déraille. Et puis si jamais...

Il laisse sa phrase en suspens et se stoppe net alors qu'il revenait vers moi. Il me dévisage avec intensité et place une main devant sa bouche en inspirant violemment, comme s'il comprenait quelque chose. Comme si tout s'écroulait.

Je ferme les yeux et m'autorise quelques secondes pour respirer loin de l'image destructrice qui me fait face. Voir West dans un tel état de panique me déchire le cœur, d'autant que je me sens parfaitement inutile. Je sais que je suis en mesure de gérer ce genre de crises. Je sais que connais la marche à suivre dans ces cas-là, je la connais par cœur. Pourtant je ne bouge pas, je ne parle pas, je suis complètement paralysé. J'ai l'impression que, quand il s'agit de lui, je perds tous mes moyens. Quand il s'agit de deux prunelles claires qui s'embuent de larmes, je ne suis plus capable de réagir, plus capable de réfléchir. Plus capable de rien. Sa détresse est tellement puissante qu'elle me coupe le souffle. Elle me pétrifie totalement parce qu'elle ne devrait pas être là, aussi présente, aussi palpable. Elle ne devrait pas m'arracher les tripes comme ça. A vrai dire, elle est tellement rare que lorsqu'elle se montre, j'ai l'impression de me prendre la réalité du danger en pleine figure en une fraction de secondes.

J'esquisse un mouvement vers lui, mais me ravise au dernier moment. J'aimerais tellement oser le prendre dans mes bras pour lui dire que tout ira bien, qu'on fera en sorte que son petit garçon soit protégé. Je voudrais tant le serrer contre moi pour le rassurer et lui prouver que je suis là, mais mon corps refuse de m'obéir, il reste cloué sur place par la culpabilité immense qui s'échappe de son regard. Elle me parait tellement ancrée en lui que j'ai la douloureuse impression qu'elle pesait sur ses épaules bien avant que Ian ne lui envoie sa fichue menace. Cette triste lueur prend tant de place que je me demande comment j'ai pu me débrouiller pour ne pas la remarquer plus tôt. Je me maudis intérieurement d'avoir été aussi aveugle et je le maudis lui, de me faire autant d'effet.

― Faut oublier la fuite, Wayne. C'est beaucoup trop dangereux, surtout s'il y a un risque qu'ils préviennent Lola, affirme-t-il, le plus sérieusement du monde en tentant de contrôler sa voix qui s'écorche.

Je fronce les sourcils et recule d'un pas, comme s'il venait de me gifler. Je ne sais pas qui est cette Lola, mais la crainte qu'elle provoque chez West me perturbe. Toutes les émotions qui émanent de lui m'embrouillent et je me sens perdu. Comment peut-il abandonner avant même d'avoir ne serait-ce que tenter d'agir ? Comment ose-t-il battre en retraite comme ça ? Ça ne lui ressemble pas. Je sais que je ne peux pas prétendre le connaître, mais s'il y a bien quelque chose que j'ai appris de lui après plus de trois mois à déambuler dans les rues de Harlem et dans les bureaux d'Eleven Stars à ses côtés, c'est qu'il est loin d'être du genre à se dégonfler. Il est même plutôt téméraire. Alors pourquoi renonce-t-il aussi vite ? A cause d'un simple risque qu'une femme soit mise au courant ? Non, il y a forcément autre chose. Il ne me dit pas tout, j'en suis certain.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant