Musique proposée : Revelation - UNSECRET ft Ruelle. (En média).
Je secoue la tête pour tenter de stopper les vagues bleu clair qui m'animent et ordonne à mes pieds d'avancer vers la demeure qui me parait beaucoup moins accueillante maintenant que je sais qui elle renferme. Je grimpe les marches qui mènent à l'entrée sans réfléchir et sans me donner le temps de changer d'avis, puis pénètre dans le corridor. Tous les détails qui m'avaient échappés lors de ma première venue m'interpellent, comme si eux aussi, ils voulaient retarder le moment où je devrais de nouveau faire face au quarantenaire. Deux rangers parfaitement cirés sont positionnés parallèlement l'un à l'autre à côté du paillasson marron. Des tas de journaux sont impeccablement empilés sur le petit meuble en bois qui trône fièrement à côté du porte-manteau. Rien ne dépasse. Tout est ordonné, rangé, placé au millimètre près. J'avance de quelques pas et jette un œil à la pièce de gauche : elle est toute aussi irréprochable. Sans bavure. C'est presque admirable.
Bizarrement, j'aurais plutôt eu tendance à croire que la cruauté ne pouvait pas rimer avec propreté, mais j'imagine qu'une maison entretenue ne veut pas forcément dire qu'on est propre sur soi. Je fais volte-face pour finalement me diriger vers la salle que je connais, quand un poids incroyablement lourd m'oblige à m'arrêter net. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive, mais je crois que je suis en train de réaliser ce que l'on s'apprête à faire, comme si je venais seulement de percuter. Comme si les mots de Savannah ne résonnaient que maintenant dans mon esprit. Que se passerait-il si Ian, Peter ou Eleanor venait à apprendre que nous avons contacté la police avant de se retrouver derrière les barreaux ? La peur me rattrape aussitôt, plaçant violemment un couteau bien aiguisé sous ma gorge déjà encombrée. Une brève envie de faire demi-tour et de changer d'avis me titille le cerveau, mais elle est rapidement balayée par la voix sérieuse et décidée de West. Je m'y m'accroche de toutes mes forces, comme à une bouée de sauvetage, pour ne surtout pas sombrer dans mes pensées capitulardes.
Mes membres se débloquent et j'arrive enfin dans l'embrasure de la porte. Pourtant, je n'entre pas. Je me contente d'observer mon coéquipier et le père de Jess en m'adossant contre le chambranle en bois. West est en plein monologue et monsieur-le-monstre tape frénétiquement sur son ordinateur pendant qu'un dictaphone enregistre le tout. Les coudes appuyés sur ses genoux, West semble concentré sur le sol, sans que je ne sache si c'est pour faire abstraction de la présence de l'agent ou si c'est parce que ce qu'il est en train de raconter le rend nerveux. En tout cas, le ton de sa voix est neutre, dénué de toute émotion, contrastant ainsi avec son langage corporel qui m'indique que tout son corps est tendu à l'extrême. Il témoigne de son vécu comme s'il répétait un discours qu'il avait appris par cœur et qu'il détestait par-dessus tout.
― ... Après tout ça, j'ai été placé en foyer pour jeunes en difficulté, j'avais onze ans. Mes parents n'étaient plus là et j'étais seul, alors je me disais qu'il fallait que j'agisse comme un homme, sauf que c'est pas aussi simple que ça. Là-bas, je faisais partie des plus jeunes, des plus vulnérables. J'étais entouré de gamins plus âgés qui sortaient pour la grande majorité de centres fermés et qui tentaient de faire respecter leur loi pour retrouver la liberté qu'on leur avait volée. J'étais plutôt réservé, alors j'ai subi. Pendant les premières semaines, je me faisais frapper, harceler, dépouiller... ce foyer, c'était l'enfer sur terre. Et puis, y'avait cette femme qui passait régulièrement voir les nouveaux arrivants. Elle s'intéressait pas aux enfants de mon âge, normalement. Mais elle s'intéressait à ceux qui en bavaient et qui voulaient sortir de là. A tout prix.
― C'est comme ça, qu'ils t'ont recruté ?
― Ouais. Elle m'a fait une offre, un truc qui me permettrait de quitter toute cette merde et de gagner un peu d'argent par la même occasion. Devenir un homme, un vrai. Evidemment, j'ai accepté.
VOUS LISEZ
N'aie Pas Peur
ActionNelson Mandela a dit que le courage n'était pas dénué de peur, mais composé de notre aptitude à la surmonter. Je ne crois pas qu'il ait raison. Je n'ai pas vaincu ma peur, je ne suis pas passé au-dessus des tremblements qui ravageaient mon corps. J...