Chapitre 8 | 3

198 36 197
                                    

Musique proposée : Stone - Jaymes Young. (En média).


Nous sommes à peine arrivés à l'étage des soins intensifs que je sens déjà mon cœur se serrer. Les chambres défilent devant nous et j'ai envie de faire demi-tour à chaque fois que nous passons une porte supplémentaire, à chaque fois que nous croisons un regard tristement résigné de plus, à chaque fois que j'ose faire un énième pas vers mon frère. Une fois devant la salle deux-cent-vingt-quatre, mon estomac se tord et je m'arrête net. West se tourne vers moi et j'ai l'étrange impression qu'il sait exactement ce qui m'arrive. Il passe sa main dans mon dos, avant d'ouvrir la porte et de me pousser doucement à l'intérieur. Encouragé et soulagé par la chaleur de sa paume sur mes vêtements, je trouve la force de pénétrer dans la pièce.

Mes prunelles parcourent lentement la salle, puis se cognent contre les fenêtres qui donnent sur un parking répugnant. Elles s'attardent sur les murs trop gris, trop ternes. Elles sautent de machine en machine, en tentant toujours d'éviter le corps presque sans vie de Charlie. Ce corps si fragile qui ne respire qu'avec un tuyau, qui ne survit que grâce à des bruits blancs et répétés, qui n'est là seulement parce que personne n'arrive à le laisser partir. Lorsqu'enfin je suis en mesure de poser les yeux sur la figure pâle de ce petit garçon qui ne devrait pas être là, ma mâchoire se crispe. Une douleur insupportable grandit à l'intérieur de ma gorge et j'ai envie de hurler. Je suis tenté de m'approcher de lui, de l'attraper fermement par les bras pour le secouer et lui ordonner de se réveiller. Je voudrais tellement avoir la chance de revoir la couleur incroyable de ses iris clairs et la lueur de joie qui y régnait. J'aimerais tant qu'il se mette à rire en me disant d'arrêter de le secouer comme ça, qu'il ne dort plus maintenant. Mais au lieu d'illuminer la pièce avec son merveilleux sourire, il reste là, inerte, avec tous ces pansements, toutes ces perfusions, toutes ces immondices qui n'ont rien à faire là et que je meurs d'envie de lui arracher.

Les sons aigus et répétitifs des appareils médicaux sont là pour nous prouver qu'il est bien vivant, pourtant il reste là. Immobile. Sans rien dire. Sans rien voir. Sans rien vivre. Comme si la mort avait déjà emporté son âme depuis longtemps, mais qu'on refusait de le voir, qu'on refusait d'y croire, qu'on refusait de lâcher sa main. Je porte mon poing à mes lèvres en inspirant brusquement et soudain, tout me paraît insoutenable. Je ne supporte plus ces machines, ni tout ce qu'elles font à sa place. Je ne supporte plus qu'elles essaient de me faire croire qu'il est encore là, avec moi, alors que j'ai la nette impression qu'il est déjà loin. Ne pouvant faire face à la souffrance qui se propage dans ma poitrine, je tourne le dos à tout cet enfer pour m'écrouler dans les bras de mon coéquipier.

Je sais que je ne devrais pas m'appuyer sur lui comme ça, d'ailleurs, c'est sûrement la dernière chose à laquelle il s'attend, mais je ne peux pas m'en empêcher. J'ai besoin de ça, j'ai besoin que quelqu'un me prenne dans ses bras, de sentir la chaleur d'un corps bien vivant contre le mien, d'entendre un souffle près de mon oreille. Il faut que la vie qui pulse dans les veines de West contraste avec la mort qui rode autour de Charlie. Contrairement à ce que je pensais, mon acolyte ne semble pas surpris. Il me réceptionne avec douceur et m'étreint avec force, exactement comme je voulais qu'il le fasse. Comme s'il savait, comme s'il comprenait avec précision ce que je pouvais ressentir en ce moment. Je ne sais pas comment il s'y prend, mais les caresses qu'il dépose le long de ma colonne vertébrale me rassurent, elles me calment ; et, même si quelques sanglots m'échappent, je ne me sens pas honteux, je me sens simplement protégé du monde entier.

― Je sais, je sais... ça va Wayne, tout va bien, t'as le droit d'avoir mal. Laisse la douleur s'échapper.

Au bout de quelques minutes à déverser ma peine sur le tee-shirt de West, je finis par m'asseoir sur le lit de Charlie en agrippant son poignet minuscule. Douze ans, c'est beaucoup trop tôt pour mourir.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant