Musique proposée : Jack Garratt - Water. (En média).
Je sors du vestiaire, une serviette enroulée autour de la taille pour cacher mon maillot de bain jaune dans lequel je ne suis pas très à l'aise. Les mots de mon deuxième père tournent en boucle dans ma tête « si elle met bas aujourd'hui, tu pourras venir nous aider ». Alors c'est bel et bien le dernier jour que je pourrais passer dans ce cabinet... Une douleur aigue parcourt ma trachée et je déglutis pour retenir mes larmes.
― Ah, tiens, ils sont nouveaux ces tatouages ? demande Richard en tendant le menton vers mon torse.
― Non, ils ne le sont pas, ça fait juste très longtemps que nous n'avons pas nagé ensemble, murmuré-je en baissant les yeux vers l'eau du pédiluve que nous traversons en même temps. J'ai fait ces deux-là pour Charlie, ajouté-je pour couper court à la conversation.
― Oh... finit-il par lâcher après quelques secondes de silence. Et bien, voyons si tu t'es amélioré, me défie-t-il en changeant de sujet quand nous arrivons devant les bassins.
Je lève un sourcil en lui lançant un coup d'œil en coin. Il sait qu'il n'a aucune chance de pouvoir suivre ma cadence une fois dans l'eau.
― Est-ce que c'est un défi ? Demandé-je, amusé.
― Ne sous-estime pas mes vieux muscles, fiston, me répond-il avec conviction. Mais laisse-moi me préparer avant, ajoute-t-il en choisissant son couloir de nage.
Je me mets à rire, alors qu'il s'assoit sur le rebord de la piscine pour se passer un peu d'eau dans la nuque et j'en profite pour grimper à mon tour en laissant tomber le tissu qui cachait mes complexes. J'observe un instant le mouvement léger de l'eau claire devant moi et je décide de me laisser aller, de donner une chance à cette étendue de liquide de me calmer comme elle l'a toujours fait. Je ferme les yeux et me perds dans ces sensations que je connais par cœur. L'odeur du chlore m'enivre complètement et je me sens en confiance. Les bruits de plongeons et d'éclaboussures me revigorent et les voix du peu de personnes présentes dans la piscine semblent s'évaporer. La discussion qui m'attend s'efface, la peur disparaît et je me concentre uniquement sur mes sens. Quelques gouttes viennent humidifier mes chevilles et je vois Richard commencer à partir avant moi. Espèce de tricheur.
Je plonge souplement dans l'eau et rattrape Collins sans la moindre difficulté. Je synchronise mes mouvements, j'apprivoise la température de la piscine, je ressors la tête pour respirer et je ferme les yeux. J'ai fait tellement de longueurs dans ce bassin que je crois que je le connais par cœur. Le liquide frais glisse sur ma peau, mon souffle se cale sur le rythme de mes bras qui s'élancent au-dessus de ma tête pour replonger rapidement et mon esprit vagabonde. Je ne pense plus à rien, je profite simplement du moment présent et ça me fait un bien fou. Après quatre longueurs, j'accélère pour déverser toute la rage que j'ai gardée en moi ces cinq dernières semaines. Je me débarrasse de toute l'angoisse qui m'a tordu les boyaux pendant ce même lapse de temps. Parce que même si West a toujours été à mes côtés et que, comme promis, il a veillé à ce qu'il ne m'arrive rien, l'anxiété ne m'a jamais lâché.
Lorsqu'enfin je me sens soulagé, je me surprends à penser à West. Depuis nos confidences sur nos tatouages et Nicholas, nous avons presque passé un mois sans discuter réellement. Nous nous en sommes tenus à des échanges professionnels ou à quelques bières que nous avons bues ensemble au ravitaillement, pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'apprécier sa présence et de me poser des questions à son sujet. Pourquoi est-il si différent des autres à mes yeux ? Pourquoi me protège-t-il comme il le fait ? Comment a-t-il bien pu tomber dans cet environnement aussi jeune ? Pourquoi Ian le déteste-t-il autant ? Est-ce que je peux vraiment lui faire confiance ? Je continue de me débattre avec mes pensées, mais cette fois, c'est dans un tout autre liquide que je semble nager. Je crois que je me noie dans un océan bien plus profond, bien plus intense et bien plus mystérieux que la piscine qui m'a toujours sauvé du naufrage.
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N'aie Pas Peur
AcţiuneNelson Mandela a dit que le courage n'était pas dénué de peur, mais composé de notre aptitude à la surmonter. Je ne crois pas qu'il ait raison. Je n'ai pas vaincu ma peur, je ne suis pas passé au-dessus des tremblements qui ravageaient mon corps. J...