Chapitre 15 | 2

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Musique proposée : When The Truth Hunts You Down - Sam Tinnesz. (En média).


― Tu vas finir par nous expliquer ce que signifie tout ce bordel, Wayne ? Qui était ce type ? Que voulait dire tout son baratin ?

― Et pour l'amour du ciel, dis-nous ce qui t'est arrivé à l'épaule !

J'étais parti tellement loin dans les abysses puissants que sont devenus mes sentiments que je n'avais pas senti ma mère se détacher de moi pour attraper fermement le bras de mon père. Ils me font désormais face tous les deux et décortiquent chacune de mes expressions, chacun des mots que je ne prononce pas, absolument tout ce qu'ils peuvent tirer de moi pour essayer de comprendre la situation. Ils semblent aussi fatigués l'un que l'autre, comme si l'inquiétude avait pu faire fuir leur sommeil des jours durant. J'inspire longuement et, sans même prendre la peine d'essayer d'inventer une histoire plausible, je laisse ma lassitude prendre le pas sur le reste.

― Rien. Il ne se passe rien et ça va aller, pour mon épaule, articulé-je d'un ton monocorde.

Un agacement fugace s'allume dans les yeux de ma mère, mais mon père est le premier à exploser. Comme toujours.

― Bon, maintenant tu vas arrêter de nous prendre pour des cons, Wayne ! Richard a été très clair : il a dû te retirer une balle du corps, c'était une blessure par arme à feu ! Tu aurais pu y rester nom de Dieu ! Donc arrête de nous raconter n'importe quoi et dis-nous ce qu'il se passe ! Qui était ce type ? Pourquoi il vous connaissait tous les quatre, hein ? C'est lui qui t'a tiré dessus ? Tu as intérêt de t'expliquer, mon garçon, et sur-le-champ !

Sa voix balance entre la colère, l'exigence et la déception et je ne sais ni quoi lui dire ni comment prendre les choses. J'ai l'impression qu'il se rend compte que le seul de ses trois enfants qu'il pensait irréprochable a finalement fait un pas de travers et qu'il s'interroge plus sur l'échec de son éducation que sur le potentiel danger que nous encourons tous. Je serre les dents pour retenir le hurlement de frustration qui manque de m'échapper. J'ai presque envie de me laisser aller, de me laisser emporter par la rage brûlante qui commence à me consumer et qui pourrait tout réduire en cendres en une fraction de seconde. J'ai envie de lui cracher à la figure, de lui crier qu'un enfant n'a pas à être parfait pour mériter d'être aimé, soutenu, protégé et que s'ils avaient fait plus attention à leurs gosses qu'à l'image qu'ils pouvaient bien renvoyer, on aurait peut-être tous les trois compris les signaux qu'on avait reçu. On aurait peut-être trouvé le chemin à emprunter pour être heureux. On serait peut-être tous encore là, sains, saufs et à l'abri du monde.

Mais ma haine n'a pas le temps de s'enflammer complètement que West agrippe mon bras gauche pour m'entraîner dans la salle de bain sans demander l'avis de personne. J'entends ma mère lui faire une remarque outrée, alors que je vois mon père tenter de nous suivre en s'énervant cette fois pour de bon, avant d'être stoppé net par Gale qui ne le laisse pas passer. Mon cœur tambourine dans ma poitrine lorsque West referme la porte derrière nous et que je pense à l'état de colère dans lequel doit être mon père. J'espère qu'il ne va s'en prendre à personne. Je secoue la tête pour me ressaisir et me raccroche à l'espoir que Gale ne laissera rien de mal arriver à qui que ce soit dans la pièce d'à côté. Je me reconcentre alors sur mon binôme et retiens un sourire lorsque je revois les images de la dernière fois que nous nous sommes retrouvés seuls dans cette salle de bain.

― Wayne, faut qu'on se casse d'ici, affirme-t-il, visiblement soucieux.

Il me fixe d'un air contrarié et paraît réfléchir. Je fronce les sourcils en chassant le souvenir de nos deux corps collés l'un à l'autre contre cette maudite porte et songe à ce qu'il vient de me dire. Partir ? Mais pour aller où ? Je n'ai pas le temps de pousser ma réflexion bien loin ou même de lui répondre quoi que ce soit, puisque je vois la poignée s'abaisser et Gale apparaître dans un écran de fumée, le visage préoccupé.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant