Chapitre 4 | 2

236 50 199
                                    

Musique proposée : Family Tree - Matthew West. (En média).


L'arôme appétissant de pomme de terre a laissé place à des effluves étouffants de nourriture presque calcinée et Savannah s'écarte rapidement de moi. Elle se retourne vers sa poêle à la hâte en agitant les mains dans tous les sens, espérant pouvoir dissiper le nuage grisonnant qui commence à noircir la pièce toute entière. Je tends la main pour couper le gaz, tandis que ma sœur se met à toussoter en fronçant les sourcils.

― Non, mais cette fois, c'est pas de ma faute ! Si tu ne m'avais pas déconcentrée, ça n'aurait pas cramé ! ronchonne-t-elle avec un doigt pointé vers moi.

Incapable de garder mon sérieux devant cette situation improbable, j'éclate d'un rire bruyant qui contamine bien vite ma petite râleuse préférée. L'hilarité nous gagne rapidement malgré le plat raté et la cuisine brumeuse et je sens un soulagement nouveau s'emparer de moi. Ça faisait si longtemps que je n'avais pas laissé l'humour ravager mon esprit que j'ai l'impression de revivre. Comme si les crampes qui saisissaient mes joues me prouvaient que la tristesse et la peur n'étaient pas les seules émotions en mesure de rythmer ma vie. Comme si j'étais enfin autorisé à attraper un peu d'oxygène pour réapprendre à respirer après des jours entiers passés en apnée.

― Bon, reste pas planté là ! glousse Sacha en secouant les doigts pour me faire déguerpir. Va ouvrir la fenêtre et trouve un truc pour t'occuper, que je puisse cuisiner tranquillement.

Elle pose sa paume sur son ventre, toute essoufflée, alors que je passe une main sur mon visage pour calmer la douleur délicieuse qui me mord la mâchoire et retrouver mon sérieux.

― Et ne cache pas tes jolies fossettes ! renchérit-elle en prenant un air faussement autoritaire.

Je laisse mon bras retomber le long de mon corps en conservant le léger rictus qui me chatouille les lèvres. Savannah a toujours adoré mes fossettes, même si je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. Elle disait que ça me donnait « un petit côté mignon » et, puisque toutes ses copines avaient acquiescé, je n'ai jamais eu aucune chance de la convaincre du contraire.

Je l'embrasse tendrement sur la tempe et vais ouvrir la grande baie vitrée menant à un balcon minuscule, en face du canapé. Heureux de ne pas avoir à m'occuper de quoi que ce soit, je me dirige vers ma chambre et sens mon cœur se serrer en apercevant les draps de mon lit défaits : Sacha a dormi ici. Elle s'inquiétait. Je secoue la tête pour me ressaisir, me concentre sur mon dressing grand ouvert et y attrape une chemise gris foncé à carreaux sombres, une veste de costume noire et un pantalon de la même couleur.

Je file dans la salle de bain et me glisse sous le pommeau de douche pour profiter de la caresse chaude qui dégouline sur ma peau. Je ferme un instant les yeux et laisse l'eau bouillante recouvrir mon visage, puis se faufiler sur mes épaules, détendant chacun de mes muscles sur son passage. La vapeur fiévreuse qui s'échappe de la cabine en verre semble emporter avec elle tout le stress et la négativité qui pèse sur ma poitrine en à peine quelques minutes, tandis que je jette la tête en arrière pour me laisser submerger par ce liquide limpide qui a toujours su me calmer. Je ne sais pas combien de temps je passe à me délecter de cette sensation de flottement, mais à la seconde où elle s'évapore, je me sens prêt à affronter mes parents et ma nouvelle vie.

Alors que je sors de la salle de bain, Savannah apparaît devant moi. Un chapeau noir à la main, elle me fait signe de m'abaisser pour le placer sur ma chevelure encore humide et je souris quand ses doigts s'approchent de ma chemise qu'ils déboutonnent de moitié. Elle observe un instant le papillon noir qu'elle vient de libérer et semble satisfaite de son œuvre.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant