Épilogue

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Musique proposée : Heroes - Mika. (En média).


Cinq mois plus tard...

—     Mais laisse-moi payer, bon sang !

Plus provocateur que jamais, West tend l'argent à la caissière en me regardant droit dans les yeux. Il le sait pourtant, que j'ai horreur d'avoir l'impression qu'il m'entretient. Pas le moins du monde peiné par mon soupir agacé, mon camarade me sourit exagérément tandis que j'attrape l'un des sacs pleins de provisions sous son air réprobateur. Même si mon épaule va beaucoup mieux, il a toujours du mal à supporter de me voir porter quoi que ce soit. Comme s'il avait peur que le moindre petit choc ait le pouvoir de me casser en deux. Sur ce point, je ne peux pas lui en vouloir : à chaque fois que quelque chose frôle sa jambe, une angoisse sourde me tord les boyaux et c'est tout juste si je ne me précipite pas vers lui pour savoir s'il va bien.

—     Comment ça va aujourd'hui, Wayne Singer ? me demande West alors que nous nous laissons tomber sur les sièges de son Impala.

Je l'observe un instant farfouiller dans ses albums de Linkin Park et attends qu'il en ait choisi un pour le trajet avant de vraiment réfléchir à sa question. Depuis que j'ai quitté l'hôpital, il me la pose tous les jours, sans exception. Au début, je passais mon temps à lui mentir en affirmant que tout allait bien, mais j'ai vite compris que c'était inutile. West n'est pas dupe, il ne se laisse jamais convaincre par mes mensonges, alors j'ai fini par admettre que j'ai le droit de me sentir mal. J'ai le droit d'avouer que le passé me poursuit et que mes songes sont de plus en plus intenses chaque nuit. J'ai aussi le droit de me laisser atteindre devant lui, et c'est ce que j'ai fait. Avec le temps, j'ai appris à lui répondre avec le plus de sincérité possible et désormais, il me faut toujours quelques minutes avant de lui dire quoi que ce soit. J'ai besoin de me questionner moi-même avant de m'ouvrir à lui. Est-ce que ça va aujourd'hui ? Est-ce que j'ai réussi à m'assoir sur une chaise sans revoir la salle cauchemardesque à chaque clignement d'yeux ? Est-ce que les coups de feu ont rattrapé mon esprit pendant mon sommeil ? Est-ce que je vais vraiment bien, ou est-ce que je me persuade que ça va ?

Il y a à peine quelques mois, je tremblais à chaque bruit sourd, je sursautais dès que quelqu'un toquait à la porte, je fuyais tout contact physique avec quiconque en dehors de West, même un simple effleurement m'était insupportable. Je n'aurais jamais pu m'imaginer aussi fragile que je ne le suis aujourd'hui, aussi... atteignable. Encore maintenant, une fourchette qui claque sur le sol peut me faire paniquer. Une main posée sur mon épaule m'empêche de respirer. L'eau de la douche qui ruisselle sur mon visage est une véritable torture... Tout mon quotidien est chamboulé, ma perception de la vie a changé et West semble être le seul qui soit en mesure de me comprendre. Il est là chaque soir quand je me réveille après un énième cauchemar. Il est là chaque matin quand le liquide qui dégouline sur mon corps me fait perdre pied. Il est là pour rassembler les pièces du puzzle, et je suis à ses côtés quand ses forces l'abandonnent.

La solidité unique de notre amour m'aide à surmonter la brûlure du passé tandis que l'amitié presque fraternelle qui s'est tissée entre Gale et moi me rappelle toujours à quel point la famille se construit avec le cœur et à quel point elle peut être vitale. Je pourrais confier ma vie à Gale et, même si je suis sûr qu'il en ferait autant, le barman est différent de West et moi. Il ne dévoile pas ses sentiments. Il ne les déguise pas non plus, mais il ne se laisse pas submerger, jamais. Impénétrable, il ne parle pas, ne pleure pas, ne frappe pas, ne hurle pas... Dans les moments les plus difficiles à surmonter, ceux où la douleur est trop intense, il se referme complètement sur lui-même et paraît hors d'atteinte. Pourtant, je sais qu'il lui arrive de craquer lorsqu'il se retrouve seul dans le noir. Il ne dit pas un mot, c'est vrai. Il ne nous demande rien, mais ses prunelles argentées parlent à sa place. Sa détresse est palpable dans l'air, et West le sait aussi bien que moi. On est aussi parfaitement conscients que malgré tout, lorsque ses souvenirs deviennent trop lourds il a quand même besoin d'un ami, d'un frère, de quelqu'un qui lui montre qu'il n'est pas seul et qu'il a le droit de souffrir. Je crois d'ailleurs que c'est la seule chose qui le soulage : notre permission. Comme s'il s'interdisait d'avoir mal mais qu'en voyant que nous sommes prêts à l'aider à lâcher prise sans le laisser s'écrouler, il s'octroyait un instant pour ressentir toute la peine qui le déchire avec cruauté. Il me semble même que, parfois, quand la lune brille et que les étoiles s'illuminent, il lui arrive de se confier à West.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant