N'aie Pas Peur

Chapitre 14 | 2

Musique proposée : Weight Of The World - Citizen Soldier. (En média).

― Je vais bien, affirme-t-il sans que mes prunelles ne captent les siennes.

Je le scrute subitement, abasourdi par la facilité avec laquelle il sait lire en moi comme dans un livre ouvert, alors qu'il se met à rire.

― Tes émotions sont écrites sur ton visage, Wayne. Je ne fais que les lire.

Je grimace à la fois perplexe et septique. Personne avant lui n'avait jamais su décrypter mes réactions avec autant d'exactitude.

― Comment tu te sens vraiment, West ? lui demandé-je pour que l'attention ne soit plus focalisée sur moi.

Il entrouvre les lèvres pour me répondre, mais je ne lui laisse pas le temps de me mentir que je renchéris déjà :

― Ne me mens pas, s'il te plait... Tu sais peut-être comment me décoder, mais là, n'importe qui pourrait voir que tu ne vas pas si bien que ça. Et puis, je sais que d'un côté, t'as pas envie que je croie à tes mensonges et que je te laisse tranquille avec ça, parce que parfois, ça fait du bien de trouver quelqu'un qui fait pas semblant de ne rien voir. Alors parle-moi, West. Je suis là pour toi, moi aussi je peux te soutenir quand t'en as besoin, articulé-je, la bouche encore pâteuse.

Les mouvements des vagues s'agitent violemment au cœur de ses iris, alors que ses yeux se mettent à briller. Il baisse la tête vers ma main qu'il serre et qu'il desserre sans arrêt, mais je ne dis rien. Je reste complètement silencieux, espérant lui faire comprendre que je suis prêt à l'écouter si jamais il veut se libérer de quelque chose.

― Ecoute Wayne... Je suis habitué à ce genre de situation foireuse. Je sais que c'est la merde pour toi et que c'est pas moi qui me suis pris une balle, mais...

Il avale une grande bouffée d'air et ses doigts stoppent leur petit manège pour se refermer sur les miens. J'ai l'impression qu'il s'accroche à moi, de peur de se faire emporter par la tornade qui ravage sa poitrine si jamais il ouvre la bouche pour la laisser s'échapper et ça me réchauffe le cœur qu'il me fasse assez confiance pour prendre ce risque.

― Mais quand je t'ai vu t'écrouler... Que j'ai vu tout ce sang... J'ai cru que je perdais encore quelqu'un et...

Il regarde en l'air quelques secondes dans le but de retenir ses larmes, mais deux ruisseaux salés dégoulinent déjà le long de ses joues rougies par l'émotion. Pourtant, il ne s'arrête pas. Sa voix déraille, ses mains tremblotent, mais il continue de parler, il laisse l'ouragan passer.

― Et j'arrive plus à le supporter, Wayne. J'en peux plus de voir les gens que j'aime mourir sous mon nez un par un. D'ailleurs, avant de vous rencontrer, toi et tes foutus yeux verts à la con, je m'étais promis de plus jamais m'attacher comme ça, parce que je voulais plus ressentir cette sensation. Ce sentiment d'impuissance pur et dur. Parce que c'est exactement ce que j'ai toujours été : impuissant. J'ai vu mes proches se faire tuer sans jamais être foutu de faire quoi que ce soit pour les sauver et... Ce soir-là, j'avais compris qu'il se passait un truc. J'avais compris que Savannah était en plein délire, sauf que j'ai pas vu le coup partir alors j'ai pas pu m'interposer à temps...

― Dis pas ça, tu lui as sauvé la vie, West.

Je sursaute lorsque j'entends la voix de Gale, alors que West, lui, se contente de se retourner vers son ami qui prend place devant le lit. Mon coéquipier ne semble pas plus perturbé que ça à l'idée que quelqu'un l'ait entendu se confier de cette façon, mais je crois que c'est parce que Gale sait déjà tout ça. J'ai l'impression que Gale est la personne qui en sait le plus sur West et pas seulement parce qu'il le connait depuis plus longtemps que les autres. Ils ont l'air d'avoir tellement vécu tous les deux... et quelque chose me dit qu'ils ont vécu une très grande partie de toutes leurs épreuves ensemble. Je lance un regard interrogateur au barman pour l'inciter à continuer sur sa lancée et, après un bref coup d'œil à West qui hoche la tête, il se concentre sur moi.