Chapitre 18 | 1

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Musique proposée : Run - Bring Me The Horizon. (En média).


— Wayne, bordel !

Je lève une main pour couper Gale dans son élan et celui-ci soupire avec ostentation. Je sais qu'il est inquiet et je sais qu'il en a marre que je lui demande de se taire sans arrêt depuis de longues minutes, mais j'ai besoin qu'il me laisse encore un peu de temps. J'ai besoin de réessayer une fois de plus, même si c'est la cinquantième et qu'elle doit se solder par un nouvel échec. Peu sûr de moi, je pianote sur l'écran de mon smartphone pour composer le numéro de Savannah que je connais maintenant par cœur, mais au moment d'enclencher l'appel, ma main reste en suspens au-dessus du téléphone. Le désespoir me paralyse et j'en viens à me demander si ce n'est pas peine perdue. Après tout, elle n'a pas répondu à aucun de mes appels précédents, aucun de mes textos, il n'y a donc aucune raison que cette tentative-là soit différente des autres.

Fermant durement les yeux, je prends une grande bouffée d'air pour me donner un peu de courage et finis par appuyer sur la petite touche verte. Pendant que des bruits sourds et répétitifs traversent l'appareil, je prie pour que les ondes téléphoniques emportent l'inquiétude que je partage avec Gale jusqu'à Savannah et l'incitent à décrocher enfin. Un troisième « bip » automatique résonne et je me surprends à imaginer la voix de ma sœur grésiller dans mon portable pour m'assurer que tout va bien, qu'elle n'est pas loin et qu'elle va bientôt revenir. Sauf que ce n'est pas elle qui répond à mes supplications après la cinquième sonnerie, mais Chester Bennington, accompagné par ses paroles énigmatiques.

"I wanna runaway, never say goodbye

(Je veux m'enfuir, ne jamais dire au revoir)

I wanna know the truth, instead of wondering why

(Je veux connaître la vérité, au lieu de me demander pourquoi)

I wanna know the answers, no more lies

(Je veux connaître les réponses, plus de mensonges)

I wanna shut the door..."

(Je veux fermer la porte...)

— Et merde ! lâché-je avec rage.

Un message se cache derrière toute cette mise en scène, c'est certain. Elle n'a pas changé sa messagerie contre une chanson de Linkin Park par hasard, mais je ne suis pas sûr d'être en mesure de déchiffrer ce nouveau code. Je ne suis même pas convaincu d'en avoir vraiment envie. Essayer d'entrevoir les réponses à toutes les questions qu'elle sème derrière elle ne m'amuse pas, je suis même fatigué de tout ça. Je me sens mal, affreusement mal. Sa disparition me rend malade et le pire, c'est que je n'arrête pas de me dire que tout est ma faute. Je me sens coupable. Je m'en veux à un point inimaginable et ça me met hors de moi, parce qu'au fond, je sais que je n'y suis pour rien.

Ce n'est pas moi qui ai transformé son rêve en cauchemar. Je ne suis pas celui de nous deux qui a laissé des flammes de fureur me consumer et tout détruire sur leur passage. Pourtant, la culpabilité embrase chacun des globules rouges qui pulsent violemment dans mes veines, en rallumant par la même occasion le ton intransigeant de ma mère. « C'est toi l'ainé, Wayne. C'est à toi de surveiller tes petites sœurs, de les protéger, en notre absence. » Je la revois encore tourner les talons avec condescendance pour aller rejoindre son mari, alors que je baissais piteusement la tête.

Ce jour-là, nos parents avaient un rendez-vous très important. Ils devaient partir pour la journée, mais ne pouvaient pas nous emmener, Savannah, Charlie et moi. Ils m'ont donc confié mon frère, ainsi que ma sœur comme ils le faisaient toujours, avec la menace d'échec qu'ils laissaient planer au-dessus de ma tête. Puisque Sacha obtenait systématiquement tout ce qu'elle voulait de moi, elle n'a eu aucun mal à me persuader de la laisser faire du roller sur le parking qui juxtaposait notre maison. Mais une fois que j'ai eu le dos tourné pour donner à manger à Charlie, elle s'est faufilée en douce chez l'une de ses amies et n'est revenue que le lendemain, sans donner de nouvelles à personne.

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant