Chapitre 14 | 1

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Musique proposée : Heart Like Yours - Willamette Stone. (En média).


Je voudrais ouvrir les yeux, mais quelque chose m'en empêche. Je suis vidé, comme si toutes mes forces m'avaient abandonné et que je me retrouvais seul face à mes pensées. Tout mon corps est lourd et engourdi, il ne parvient pas à suivre la cadence de mes envies et je me sens complètement piégé. Au bout d'un temps qui me paraît infiniment long et un sacré paquet d'efforts, j'arrive enfin à soulever mes paupières ankylosées. Bien que la lumière qui arrive jusqu'à mes pupilles sensibles soit tamisée, elle m'éblouit violemment et la pièce que j'ai à peine eu le temps d'apercevoir se met à tourner autour de moi. De puissants vertiges m'envahissent et je me vois obligé de suivre les directives de mon organisme épuisé en replongeant dans cette obscurité protectrice. Celle qui me maintient à l'écart de l'étrange apesanteur que je semble avoir du mal à maîtriser.

Après quelques secondes, les vertiges se calment et je tente de mettre mes quatre autres sens à profit pour m'aider à comprendre où je me trouve, ce que je fais là et pourquoi je suis dans cet état. Malgré ce drôle d'affaiblissement qui m'enferme dans ma bulle contre mon gré, je tente de me concentrer sur mes sensations, de ressentir tout ce qu'il m'est possible de ressentir. Je me focalise sur les odeurs qui enivrent mes narines, sur les sons qui dansent près de mes tympans, sur les matières qui s'éveillent sous mes doigts, et même sur le goût âpre qui parcourt ma bouche sèche. Peu à peu, je commence à reconnaître la senteur d'agrumes se dégageant des produits ménagers qui ont dû servir à nettoyer cet endroit, mais les draps légers qui me caressent le bout des doigts, eux, me sont toujours inconnus.

Je n'ai pas le temps de me familiariser avec ces vapeurs de pamplemousse et ce tissu si doux, que des cris retentissent à quelques mètres de là. Je crois distinguer deux voix totalement opposées, mais je ne suis sûr de rien. L'une semble grave et calme alors que l'autre paraît hors de contrôle et part régulièrement dans des tons aigus et angoissés. Sentant la fatigue me rattraper, je dois rassembler mes dernières forces pour ne pas sombrer dans un nouveau sommeil et comprendre ce que baragouinent les éclats d'émotions qui parviennent jusqu'à moi.

― Je voulais pas... Je te jure que je voulais pas ! Le... Le coup est parti... Il est parti tout seul...

Les jérémiades apeurées sont saccadées de sanglots bruyants, eux-mêmes entrecoupés par de nombreux reniflements. Je pourrais jurer que je connais ce timbre de voix par cœur, mais je suis incapable de me focaliser sur le sens des phrases qui virevoltent jusqu'à moi tout en tentant de reconnaître la personne qui les prononce.

― Mais qu'est-ce qui t'a pris d'apporter une arme ? Et puis d'abord, qui te l'a refilée ?

Je ressens une pointe de déception dans les reproches rocailleux qui fusent non loin de là et, même s'ils semblent calmes et posés, j'ai comme l'impression qu'ils renferment une colère sourde et puissante qui ne va pas tarder à imploser si elle ne s'évacue pas.

― Je... J'en sais rien... Je voyais tout s'écrouler et j'ai... J'ai pété les plombs alors quand... Quand j'ai vu le flingue sur le bureau de ton père...

― Sur le bureau de mon père ! la coupe brusquement la voix rauque. T'as pris l'arme de mon vieux ?! Tu te fous de moi, j'espère !

Le flegme a laissé place à la déflagration et le crissement d'une chaise sur le sol se fait entendre. Ce bruit strident fait écho en moi et je suis désormais certain d'être déjà venu ici.

― Je suis désolée...

― T'es désolée... T'es désolée ?! Bah oui, t'es désolée ! Heureusement ! T'as failli tuer ton frère et en plus mon père pourrait avoir des problèmes à cause de tes conneries !

N'aie Pas PeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant