Je n'entends pas de suite le bruit qui gronde de l'autre côté de la porte de mon appartement. D'abord discret, il se fait plus persistant avec les secondes. Figée dans mon canapé, l'ordinateur sur les genoux, je finalise le dernier article à rendre à Yuri lundi avant la conférence de rédaction. Dans ma concentration, j'ai du mal à saisir ce qu'il se passe jusqu'à ce que mon cerveau sorte de son état de veille. Le son se fait plus vif et cela me fait sursauter.
Dans un élan mal assuré, j'ouvre cette fichue porte pour tomber nez à nez avec Selim. Son regard est doux comme souvent, bien qu'au fond se cache une pointe d'appréhension, que je ne suspecte pas immédiatement. Je le laisse entrer. Lui offrant même le loisir de s'installer où bon lui semble. Son silence est étrange. Presque bruyant. Il ne me dit rien mais il crie bien d'autres choses. Je ne suis pas spécialement étonnée de le croiser là. C'est comme si ce rendez-vous était en fait programmé depuis des lustres. Il s'inquiète pour moi. Je le sens. Ses prunelles marrons me scrutent, analysent mes mouvements et ma météo interne. Ai-je l'air fâché ? Triste ? Suis-je écoeurée de ce qu'il s'est passé sur ce balcon hier au soir ? Des vérités qu'on a bien voulu m'avouer sans prendre la peine de m'en dire plus ? Ou suis-je déjà passée à autre chose, dans le tourbillon de mes troublantes pensées ?
Et c'est exactement l'ensemble de ces questions qui assaillissent Selim. Dans l'univers calfeutré de mon petit appartement, je perçois sa gêne. Cette pointe de malaise qui le fait se triturer les doigts avec une lenteur moite. Il se racle la gorge. Ouvre la bouche. Ne dit rien. Et l'on s'observe au travers de mon salon comme deux personnes un peu étranges que nous sommes. Un cirque qui dure quelques secondes jusqu'à ce que je me décide à parler la première.
- T'as perdu ta langue ? Je souffle.
Un timide sourire vient fendre son visage. Il hausse les épaules. Presque amusé de la situation.
- Non, toujours pas. Murmure t-il.
Il vient s'assoir sur l'accoudoir de mon canapé, repliant une jambe par dessus l'autre.
- Je suis là... parce que j'avais besoin de savoir comment tu te sentais par rapport à hier soir ? Je ... j'veux dire après ce qu'on s'est dit tous ensemble, avec Rafi et Nour. Je m'inquiétais de pas avoir eu de tes nouvelles plus tôt. C'est débile ... sûrement.
Ses mains trahissent son embarras. Je ne l'ai pas souvent vu dans cet état là. Selim ne fait jamais en sorte de se retrouver à devoir se racheter de quelque chose. Il n'y a jamais d'assez grands préjudices qui vaillent le concernant. Je le regarde légèrement de travers. Si la situation de hier soir ne m'a pas échappé, j'ai été contrainte de chasser de ma mémoire certaines choses. Des mensonges, des réminiscences plutôt désagréables et puis cette nuit... Alors, sa question m'embête, parce que cela veut dire qu'il faut que j'y réponde.
- Il y a un truc que je ne comprends pas. Commençai-je. Pourquoi tu m'as menti toutes ces années ?
Ses yeux se baissent pour fixer le sol. Je sens qu'il prend une longue respiration.
- Je ne savais pas grand chose. Juste ... cette histoire de came pas très claire entre Nour et Rafi. J'ai jamais vraiment cru à tout ça, mais c'est la version qu'on m'a donnée à l'époque. Rafi s'est fait coincé. Et on m'a fait jurer de jamais en reparler ok ? Et on en a d'ailleurs plus jamais reparlé. Jusqu'à récemment.
Il marque une pause. Sa main vient s'échouer sur son visage, caressant sa barbe naissante.
- Quand je t'ai réveillé l'autre matin en te parlant du Dicodin que prenait Nour, c'était pour t'aider. j'voyais bien que tu étais entrain de te poser mille questions. En te donnant le nom du médicament prescrit par son médecin, j'voulais juste que tu saches que c'était pas un drogué. C'est tout. Je voulais éviter que tu t'acharnes sur lui ... inutilement. C'était pas une super idée de réveiller les petits secrets enfouis depuis longtemps, tu comprends ?
VOUS LISEZ
Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...