Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |

9. Rebelotte

Un malheur arrive rarement seul. Dans son sillage s'accompagne souvent une succession de petits tracas. On appelle ça, l'effet boule de neige. Il devient alors difficile de s'extirper tant la situation prend une ampleur non désirée. La machine s'enraye, et c'est le festival des emmerdes.

Quelques semaines auparavant, je jouissais d'une vie plutôt tranquille, partagée entre les divers évènements sportifs à couvrir et mes articles de presse. C'est quand Yuri avait décidé que je mettrais un pied dans le monde du SCP que tout s'était ébranlé.

Après deux semaines à pondre des missives sans trop de convictions, Yuri m'a autoproclamé journaliste en chef de l'équipe du Sporting Club de Paris. C'est avec une immense joie dissimulée, que l'honneur me revient de me rendre à l'entrainement au stade Parchamps pour évaluer selon ses dires, les capacités des joueurs à performer tout au long de la saison. Comme si moi, Soisek Mara, j'avais un mot à dire sur le sujet.

Suite à  la publication de mon article en une de Team + et ma confrontation avec Senghar, je n'avais pas revu le prince des pelouses. Le temps s'était écoulé dans une certaine quiétude réconfortante. Alors non, bien-sûr,  je n'ai pas vu venir Yuri et ses recommandations à deux balles. J'aurais pu laisser ça sur le compte d'une première fois et me débarrasser du dossier SCP pour de bon.

Mais il faut croire que mes mots acerbes ont tellement plu à la rédaction, que ni une ni deux, je venais d'officiellement rentrée dans le club très sélect des journalistes accrédités à couvrir l'évolution du club parisien. Parce qu'on aimait mon ton sans complaisance et mes manières authentiques, j'étais la bonne personne pour faire le job.

Faux archi-faux. Je ne remets pas mes capacités en doute, ce n'est pas le sujet. Non, la vraie raison est ailleurs. Et pour une fois, cela n'a rien à voir avec mon professionnalisme. C'est bien plus personnel que l'on ne le croit. Il m'est pourtant impossible d'en toucher un mot à Yuri. C'est comme si je m'exposai à être vulnérable. Alors que ce n'est pas le cas. C'est juste que si j'explique la genèse de l'histoire à mon chef, alors je donne de l'importance à Senghar et l'idée m'est tout bonnement insupportable.

Tout en dévalant les quatre étages du bâtiment de Team +, parée de mon calepin noirci et de mon appareil photo, je tombe nez à nez avec Selim.

- Toi, tu as la tête de la Soisek fâchée.

Perspicace, l'ami. J'ai envie d'en rire, mais une boule malsaine logée au fond de ma gorge m'en empêche. Et pour la énième fois de la journée, je murmure un son caverneux, suffisamment explicite pour ne pas masquer mon désarroi.

- Tu vas où comme ça ? Réplique t-il.

- À l'abattoir, Yuri vient de me prendre rendez-vous avec un dépeceur de bovidés.

Mon ton se veut volontairement mesquin. Je ne cherche même pas à être drôle, de toute évidence, la journée ne me le permet pas.

- Ah, j'ai compris, c'est à toi que revient la lourde tâche de zieuter une trentaine de mecs en survêtement pendant un entrainement.

- Tu sais que tu es hilarant Selim ?

Mon visage est fermé et l'intérieur de mes joues s'entrechoque avec mes dents. Je suis à deux doigts de faire saigner ma lèvre inférieure.

- Et c'est qui le dépeceur d'après toi ? Me lance t-il goguenard.

Il a l'air sans aucun doute très content de sa répartie. Pourtant la question me paraît si évidente que je me demande si j'ai vraiment besoin d'y répondre. Mais, Selim ne semble pas prendre en compte l'ampleur de mon stress. Pour lui, ce n'est qu'une tâche parmi tant d'autres. Un moyen d'allier son métier à sa plus grande passion. Bien évidemment qu'il ne comprend pas ce que je ressens. Alors à demi-mot, je lâche :