J'ai vidé le sachet d'herbes dans les chiottes. Entièrement. Dans le miroir, j'ai fixé mon reflet pendant de longues minutes. Observant à la loupe les conséquences néfastes de mes addictions sur mon corps. J'ai pris conscience que Nour avait raison. Je ne parviendrai jamais à réaliser mes rêves s'ils se consument en même temps que mon pilon.Cachée derrière l'érable qui surplombe l'entrée du stade du FC Colombes, j'attends que l'entrainement prenne fin. Aristote Leidmann hurle ses dernières remontrances à l'égard de ses joueurs. Il ne semble pas satisfait du travail effectué ce soir. Selim part le premier dans les vestiaires, suivi du reste de l'équipe. Un seul, ne semble pas vouloir bouger. Continuant les enchainements balle au pied. Ari, lui-même, se retire du terrain. Il est tard. Il fait froid. Il faut être fou pour vouloir prolonger une séance par ces conditions.
Nour part dans le sens inverse des vestiaires repoussant ses limites toujours plus loin. Telle une comète, il virevolte sur l'herbe tantôt éclairé par les projecteurs, tantôt dans la noirceur la plus totale. C'est ce qui m'a toujours subjugué chez lui. Cette aisance que personne n'a. Ce talent si propre, qui frôle le virtuose. Sa propension quasi inégalable à user de facultés hors normes pour atteindre l'objectif de sa vie. Ce brio incontestable dans chacun de ses gestes. Le ballon, c'est son instrument de musique. Et la mélodie qu'il fredonne a l'audace d'un futur exploit.
Je m'avance lentement sur le terrain mouillé du stade. Pas après pas. Je le regarde faire. Le vent balaye mes cheveux en arrière. Je suis gelée. Je rêve du confort et de la chaleur de mon lit. Mais avant ça, j'ai quelque chose à dire à Nour – et ça ne peut pas attendre.
Lorsqu'il m'aperçoit, le ballon vole dans ma direction. Je l'intercepte avec la main. En temps normal, on pourrait crier à la faute, mais je ne respecte pas les règles. Et ce, depuis longtemps.
- Mara ? Crie-il, au loin.
Sa silhouette se rapproche dangereusement de la mienne. A petites foulées, il traverse le terrain, pour me rejoindre au point central, au niveau de la ligne médiane. Je lui tends son ballon, qu'il saisit en frôlant ma paume.
- Qu'est-ce que tu fais là ? Souffle-t-il.
Il trottine sur ces deux jambes pour ne pas subir de plein fouet la température hivernale. Un bonnet enfoncé sur la tête, des gants recouvrant ses mains, un épais pull sur le dos, il parait extenué d'autant d'effort.
- J'ai tout jeté dans les toilettes. Il ne reste plus rien.
Un sourire discret se dessine sur ses épaisses lèvres.
- Pourquoi ?
- Tu avais raison. On ne peut pas rester ici, à Colombes. Glissai-je.
Nos yeux s'accrochent à nouveau. J'ai l'impression qu'il saisit l'importance de mon aveu. Mais c'est si difficile de lire en lui. Et comme il ne réagit pas et que tout à coup, je me sens comme une minuscule feuille échouée sur un vaste terrain miné, je préfère faire une pirouette. Bravant la nuit, en sens inverse. Jusqu'à ce que sa voix vienne fendre l'air glacial.
- Pourquoi tu es venu me dire ça à moi ?
Il y a une pureté assez déconcertante qui émane de lui. Comme si soulever cette question n'avait rien d'abrupte. Alors pour seule réponse, j'hausse les épaules, ne quittant pas un seul instant ses iris qui se confondent dans la nuit. Et je reprends ma route, vers la maison, située à quelques mètres de là.
- Attends. Siffle-t-il. Tiens, aide moi !
Il me tend le ballon du bout de ses doigts. Un rictus bienveillant assaille son visage. Il fait nuit noire. Je suis glacée jusqu'aux pieds. Mais j'accepte.
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Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
Literatura FemininaSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...