16. Colombes

307 28 12
                                    


Colombes, ne m'a jamais laissé des souvenirs impérissables. Pour moi, ça avait été le théâtre de plusieurs désillusions. En général, je me garde bien de fouler les pavés de ce petit village de banlieue. J'ai toujours préféré Paris et son spectaculaire dynamisme enivrant, plutôt que la tranquillité du bourg dans lequel j'ai grandi.

En sortant de la gare, je peux sentir l'odeur si particulière de l'enfance. Les pavés de ma ville, me rappellent les heures passés à slalomer dans les dédalles des ruelles, mon vélo en main. L'insouciance se mêle aux réminiscences plus sombres. J'ai un peu froid tout à coup. Septembre s'enlise peu à peu dans l'automne et les feuilles parsèment les trottoirs comme autant de neiges en plein hiver. L'idée de venir jusqu'ici me paraît absurde. Parce que j'ai tenu éloigné cet endroit loin de mon quotidien, je peine à retrouver un souffle décent. En traversant le petit faubourg, je m'engouffre dans une longue rue envahit par une multitude de petites maisons toutes similaires. Je connais bien l'atmosphère des lieux. J'y ai habité longtemps. Jusqu'à ce que la vie en décide autrement. C'est la première fois que je reviens ici depuis dix ans. Plus rien ne me raccroche à Colombes. Pas même ma mère partit vivre à l'autre bout du pays, lasse d'avoir suffoquer tant d'années entre ces quatre murs.

En chemin, je m'arrête devant le n°18. La couleur mauve de la boite aux lettres jurent parmi les autres au style plus passe-partout. Le crépi usé de la façade de la maison commence à tendre sévèrement vers le gris. Le temps, l'érosion, la vie, a sali l'éclatante peinture blanche. Quelques rideaux pendent encore aux fenêtres. Je revois le visage de ma mère au travers de la vitre, lorsqu'elle s'impatientait de ne pas me voir arriver avant l'heure du diner. Elle fulminait derrière l'épaisse couche de rideaux qui décoraient le petit séjour. Et je traversais le jardinet, consciente que j'allais me prendre une soufflante en passant le pas de la porte. La vérité, c'est que j'adorais qu'elle s'inquiète pour moi de cette façon. Quand il ne restait plus qu'elle pour faire figure d'autorité, je lui aurais donné pas mal de mes petites joies pour qu'elle puisse retrouver les siennes.

D'un sourire nostalgique, je reprends ma course. Au bout de la rue se trouve un immense terrain vague, parsemé de mauvaises herbes et de bosses. J'y avais flingué plus d'un dérailleur de bicyclette étant gamine. Et quand l'été prenait place à Colombes, c'était le meilleur endroit du monde pour prendre un bain de soleil après la noirceur de l'hiver.

Mes pieds s'aventurent dans le no man's land, piétinant au passage l'herbe brûlée par la chaleur du mois d'août. Je n'ose pas m'arrêter pour contempler la vue, j'ai peur que cela me ramène aux vestiges du premier âge. Comme un bibelot plein de poussière qui trône sur la cheminée depuis des siècles, cet endroit ne mérite pas que je m'y attarde encore une fois.

Un peu plus loin, derrière des grillages érigés par la municipalité trône le terrain de football réservé au FC Colombes. Un cabanon siège au bord de la pelouse, d'autres installations ont quant à elles vu le jour depuis mon départ. Ce n'est pas encore du grand luxe, mais je note l'effort de la part des dirigeants du club. Je laisse mes doigts caresser la clôture tout en m'avançant vers l'entrée du stade. L'odeur de l'herbe fraichement coupé vient chatouiller mes narines.

Plusieurs gamins s'entrainent déjà, s'époumonant à chaque foulée. Même dans un stade vide, je peux sentir la dévotion qui les anime. Ce rêve qui n'est pas encore à leur portée et qui sans doute ne le sera jamais. 1% d'entre eux, parviendra peut-être un jour à donner vie à cette espérance. Et même si l'innée est une qualité primordiale dans ce sport, la chance aussi y est pour beaucoup. Et elle ne sourit malheureusement pas à tout le monde.

Les mains dans les poches, je scrute la relève avec une certaine candeur. Des années me séparent de ces instants où j'observais du coin de l'œil l'équipe du FC Colombes s'entrainer le mercredi après-midi. Avec Mél, on avait pour habitude de squatter les bancs du petit stade, gâteaux en main, en commentant les performances des uns et des autres. Dans cette arène, j'avais trouvé ma place en quelque sorte. J'attendais avec impatience la fin de la séance pour retrouver Selim et lui détailler point par point mes impressions. Il avait toujours trouvé ça drôle. Cette amitié est née de notre besoin débordant de comprendre l'un comme l'autre, la résultante d'un match. J'aimais observer la technique, analyser les conséquences d'un geste mal fait et vibrer au rythme des ces 90 minutes cruciales.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant