Comment ai-je pu manquer ça ? Trop absorbée pour détecter la supercherie, j'ai omis ce détail saisissant.
Soudain, je fais abstraction au monde qui m'entoure. Je ne visionne même pas la fin du match, consciente que l'issue est écrite à l'avance. Ce soir, le SCP va perdre. Et il se pourrait bien que ce ne soit pas une coïncidence. J'ai besoin d'un shot, d'une clope, d'une claque, peu m'importe. Mes idées fusent de partout, rendant mon raisonnement trop rapide pour que j'en saisisse le sens. À cet instant-là, je n'ai qu'un seul objectif – savoir pourquoi ?
Mon instinct journalistique est à son apogée. Senghar vient de réveiller chez moi, la partie sombre de mon entêtement naturel. Je le plains. Si pendant des années, je n'avais pas dénié lui accorder suffisamment de valeurs, trop concentrée à mettre de la distance dans mes ressentiments, ce soir, j'ai la ferme intention d'aller fouiller là où je ne devrais pas. Je ne prends pas la pleine mesure de ce que je m'apprête à faire. Je m'en fous. L'instinct m'est primitif au point où je serai capable d'aller à l'affrontement sans savoir si je peux gagner. Ce besoin est viscéral et vient me tordre les boyaux. Rapidement, j'élabore un plan. Mais je me rends compte qu'il ne tient pas la route. Ma seule évidence, me croit couchée dans mon lit à rattraper du sommeil qui n'a jamais existé. Et c'est sur ce tableau là, qu'il va falloir que je joue.
Quelques sonneries me laissent planer dans le doute, jusqu'à ce que j'entende sa voix à l'autre bout du combiné. Il souffle maladroitement à travers la ligne et des bruits épars viennent polluer notre échange. Selim semble étonné de mon appel. Je ne lui laisse aucun répit.
- Selim, tu fais quoi après le match ?
Ma question est précipitée. Je le sens jauger la situation.
- Il est fini le match Sek. Je croyais que tu dormais ? Finit-il par me répondre, non sans cacher son enthousiasme.
- Changement de programme.
Et tandis que j'attends qu'il me donne des indications, je laisse courir mes yeux sur le petit écran accroché au mur. Le match vient en effet de prendre fin. Et le score est sans surprise. Quelques rediffusions d'images surgissent dans le téléviseur. Dont une, qui ne fait que me conforter davantage.
- Tout le monde vient chez moi pour boire un verre. J'allais te le proposer mais tu m'as fait croire que t'avais mieux à faire.
La voix de Selim trahit sa déception. Pas parce que je ne suis pas à ses côtés. Mais parce que son équipe vient de se faire lamentablement éliminée de la compétition, en partie parce que son ultra pote Senghar a failli à sa mission.
J'hésite à lui demander plus de détails mais finalement je me lance. Ce qu'il s'apprête à me dire peut changer le cours de ma soirée.
- Et par tout le monde, tu entends qui ?
- Mel, Ugo, Val, Rafi, des potes de la rédac, 'fin du monde quoi.
À l'évocation de la présence de Rafi, mes sourcils se froncent. C'est bien ce qui me semblait. Mais j'ai besoin de vérifier une dernière petite chose. Mon ultime requête n'est pas innocente.
- Et Senghar est de la partie ?
- Pourquoi ça t'intéresse maintenant ? Me demande t-il sournoisement.
Son rire est ironique. Je perçois un soupçon de malaise au bout du fil. C'est vrai, je ne m'autorise jamais à demander d'habitude. Avant, c'était parce que ça ne m'intéressait pas, mais depuis quelques temps, c'est surtout parce que je ne veux pas savoir.
C'est un secret pour personne. L'après-match a toujours été sacré dans le cercle exclusif de ma bande d'amis. D'aussi loin que je me souvienne, Senghar a toujours fait partie des petites fêtes organisées par Selim. Un moyen simple entre autre de garder le lien avec lui. Ce sont d'ailleurs lors de ses rares occasions que Nour et moi avions partagé la même pièce au cours de cette décennie. Et à chaque fois l'ambiance se plombait quand l'un de nous deux faisait irruption. Depuis son transfert d'il y a deux ans pour le club parisien, ce genre de rendez-vous se voulaient plus fréquents. Dès lors, j'avais officiellement déserté les lieux, me refusant à subir le mépris de Senghar d'un peu trop près. Selim qui d'habitude est plus enclin à découvrir les failles des uns et des autres, n'avait jamais cherché à comprendre mon attitude. Selon lui, j'en voulais à Nour de manière irréfléchie. Point barre. Je ne lui en ai jamais tenu rigueur. Selim ne possède que la moitié de la vérité. L'autre partie, ne concerne que moi et cet abruti de footeux. Et je sais que l'énigme est bien gardée.
![](https://img.wattpad.com/cover/166524457-288-k402318.jpg)
VOUS LISEZ
Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
Chick-LitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...