La seule raison pour laquelle le public t'adule, c'est parce que tu gagnes. L'image qu'ils ont de toi, reflète celle qu'ils pourraient être mais qu'ils ne seront jamais. Ils t'admirent parce que ton parcours est celui d'un champion. Intrinsèquement, ils projettent en toi, l'espoir d'être un jour à ton niveau. Alors quand le Dieu s'effondre, l'erreur n'est plus humaine. Tu n'as jamais été palpable à leurs yeux. Tu es comme un trophée, une vulgaire statuette que l'on brandit les jours de gloire. Échouer, ne fait pas partie de ta ligne de conduite. Ton destin tu le traces chaque jour, pour déjouer les obstacles. Mais on sait toi comme moi, que tu es comme tout le monde. Ni plus, ni moins, qu'un être doté d'une sensibilité. Tu n'es pas infaillible. Et nul ne peut gagner à chaque combat.
Mes yeux te scrutent. Ne loupent pas une seule miette du spectacle catastrophique que tu es entrain d'offrir à tes supporters. Du haut des gradins, je perçois ton énervement. Tu es à bout. La pression qui pèse sur tes épaules, ce soir, t'est insupportable. Et c'est criant. Je t'observe sautiller sur place. Tes mouvements sont saccadés, rien à voir avec ce que tu es capable d'offrir. Ce soir, tu es le bouffon du roi. Seul parmi les autres, tu ne brilles plus. C'est comme si tu avais renoncé. Comme si tu estimais, que ça ne valait pas la peine de te battre.
Les sifflements de fureur prennent de l'ampleur. Tu les entends. Tu entends le public scandé ta défaite. Ils te voient. Comme moi je te vois. Indolent, incertain, vacillant. Le monde t'étudie de près. Ce que tu leur offres, c'est un marasme sans nom.
Tes muscles se tendent. Tu as froid tout à coup. La chaleur de l'amour n'est plus. On te la enlevé. Le temps d'un soir, tu n'es plus qu'un joueur parmi tant d'autres. Et ça, tu ne peux pas le supporter. Alors tu geins, tu cris, tu t'agaces. L'arbitre s'en plaint. Carton jaune.
Tu sais que tu vas finir cette rencontre sur le banc. N'importe quel entraineur ne laisserait jamais aucun joueur dans une difficulté pareille. Mais tu persistes. Tu veux montrer que ton talent n'est pas à vendre. Que tu ne l'as pas bradé afin de savourer ton succès. Non, tu es un compétiteur. Tout ce qui compte pour toi, c'est de gagner.
Mais on sait que ce soir, tu ne réussiras pas. Tu es à 85 % de tes capacités. Le reste s'est barré en cours de route. La raison ? Je ne la connais pas. Mais toi, tu sembles savoir. Tu sembles comprendre ce qui cloche. Et ça t'énerve. Parce que pour la première fois de ta vie, tu es impuissant. Tu ne contrôles pas. Le cerf volant prend la fuite, tu as lâché la ficelle. Et ça te ruine, autant que ça m'amuse.
Les minutes défilent et tu ne peux pas les stopper. Tu es perdu au milieu d'une pelouse, affublé de ton maillot rouge et gris. Les regards de tes coéquipiers sont condescendants. Eux non plus, ne comprennent pas. Alors tu commets des fautes. Tu perds ton sang-froid. Il ne reste que de toi, l'animal qui sommeille. Tu n'en as plus rien à faire des règles, du fair-play. Et tu sais que c'est une terrible erreur. Tacle, croche-pied, bousculade. Tu ne vois même pas que ton équipe essaye de te refiler le ballon. Non, tu es aveuglé par ta haine. Aveuglé par le fait que ce soir, ton étoile ne brille plus.
Je vois le visage de Selim à mes côtés, se remplir de doutes. Lui non plus, ne comprend pas. Pourtant, c'est ton ami. Il devrait savoir. Mais ce soir, Senghar, je crois bien que tu es entrain de le décevoir.
Ton entraineur pète un plomb. Il te fait signe que c'est l'heure du changement. Adieu. Ta place est sur le banc parmi les remplaçants. La vanité, Nour, c'est un vilain défaut.
Le match touche à sa fin. L'équipe adverse est en passe de remporter la mise. Tu sais que ça va vous valoir très cher. Votre place en championnat, tout à coup est mise en péril. Assis sur le banc, tu te laisses glisser. Tu as envie de disparaître. Tout plutôt que d'avoir à assumer cette défaite. Pourtant, c'est en partie ta faute. Tu as donné de ton talent, seulement ce qui t'arrangeait. Aucune lecture de jeu, aucune intelligence dans la prise de risque, aucune passe décisive. Ton public est en rage. Ton entraineur est au sommet de sa consternation. Et toi, tu ne t'excuseras pas. Je le sais. Parce que je te connais.
0-1 affichent les écrans du stade Parchamps. Personne à l'intérieur de l'enceinte ne peut passer à côté. C'est comme si l'endroit que tu aimais le plus au monde, était aussi celui qui était entrain de te narguer sous tes yeux.
Alors, tu envoies ta serviette valser par terre. Si tu pouvais, je suis sûre que tu l'a piétinerait. Mais ce n'est qu'une serviette Nour. Et elle ne peut palier à ton manque de talent de ce soir. Tu sais qu'en arrivant dans les vestiaires, tu vas te prendre une rafale d'injure de la part de ton coach. Ce sera largement mérité. Il t'a fait, il t'a construit. Il t'a donné son soutien, sa confiance. Ce que tu viens de faire ce soir, ça le met en rogne. Il croyait que le jeune joueur que tu étais, arrogant, impulsif, avait pris des galons avec l'âge. Non, la vérité, c'est que tu viens juste de montrer ton vrai visage.
Mais sais-tu quelle est la meilleure partie de cette soirée ? C'est celle qui vient. Celle pour laquelle, on m'a missionné. La conférence de presse. Exactement tout, ce que tu exècres. D'habitude, très habile avec les médias, tu l'es beaucoup moins quand tu perds. C'est normal, je suppose. Sauf que ton arrogance est encore plus concrète. C'est un bonheur, de te voir fusiller du regard, tous les journalistes qui mettent des mots sur tes failles. Ce soir et pour la première fois, je fais partie du ballet de ses poseurs de questions que tu détestes au fond de toi même.
Ce soir, Nour, on va bien rigoler.
Note de l'auteur :
Aujourd'hui a été une journée très productive en terme d'écriture. J'ai d'abord terminé mon chapitre sur " 20 ans et quelques" (je vous invite à le lire) avec une tisane et un plaid bien chaud. Mais lancée dans ma démarche, j'ai ouvert une petite bouteille de vin pour écrire celui-ci (j'attends que mes amis débarquent à la maison). Va pas falloir que l'histoire se répète, parce qu'à ce rythme je vais finir avec des problèmes d'alcoolémie à coup-sûr!
J'espère que ça vous régale.
Emi.
VOUS LISEZ
Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...