19. Pador et les squares,

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Estampiller : à savoir cautionner. Soit l'opposé de tout ce que je crois. J'aurais pu en faire mon fer de lance. Mais j'imagine que parfois les expériences de la vie inscrivent des principes profondément ancrés. Je n'approuve que très rarement. Encore moins quand ça va à l'encontre de ma profession. Toujours pas quand il s'agit des pans de mon intimité.

Donc non. Glisser ma mère dans une conversation qui n'a pas lieu d'être, c'est comme déclarer une guerre aux motifs d'une idéologie étriquée. Ce n'est pas sensé exister. Je sais très bien pourquoi il l'a fait. Mais ce que je retiens surtout, c'est que cette incartade n'est là que pour heurter. Et j'ai du mal à digérer qu'en plus de dix ans, il y arrive encore.

Alors, peut-être que mon insatiable besoin de revanche vient ternir ma candeur. Mais pour ce que ça vaut, je suis déterminée à aller là où je ne devrais pas m'aventurer : les recoins d'une âme piétinée.

Quand le cerveau est en effusion constante, un lot indénombrable d'idée germe. Elles ne sont pas toutes clairvoyantes. Pour la plupart, je dirai qu'elles peuvent finir au fin fond d'une benne à ordure. Mais une seule ceci-dit, peut permettre parfois de lever le voile sur une microscopique partie de mystère. Et c'est bien celle-là que j'ai décidé d'aller explorer.

Si Selim ne s'était pas montré trop bavard l'autre soir, je n'aurai peut-être pas pu glisser ma question avec autant de distance. Mais il n'a pas tiqué. Pourquoi le ferait-il ?

Je cherchais le nom d'un type enfuit dans mes souvenirs. Selim me l'a offert sur un plateau. Pador. Voilà ce que j'en ai tiré. Ce petit bandit de Colombes en savait plus que quiconque sur une personne qui m'intéressait de près. Outre Senghar et son péno de merde, Rafi lui, venait d'éveiller ma curiosité. Je ne cessais de repenser aux paroles teintées d'amertume d'Aristote Leidmann sur le supposé bras droit de l'attaquant du SCP. Gentil, calme, promu à un avenir moins brillant que son acolyte mais pour autant loin d'être un raté sans perspective. Alors pourquoi du jour au lendemain tout avait basculé ?

Excepté l'article que j'avais déterré quelques jours plus tôt, relatant une sombre affaire de trafic de stupéfiant, aucune autre piste n'avait éclairé ma lanterne. J'en revenais donc au point de départ. Pour savoir, il fallait laisser parler les autres. Et visiblement, je n'en étais pas à mon premier coup d'essai.

Cette fois-ci pourtant, je décidai d'y aller de façon moins brutale. Pas de promesse d'interview exclusive pour un article qui ne verrait jamais le jour. Non. Il me suffisait de donner quelque chose en échange. Quelque chose qui s'arrachait de nos jours à prix d'or. Deux foutus tickets pour les loges VIP du prochain match du SCP. J'avais moyenné la dote auprès de ma rédaction. Promettant de m'y rendre avec mon calepin et mon talent journalistique. La vérité, c'est que je venais de fourrer l'enveloppe avec les deux sésames dans mon sac, tout ça dans le but de soutirer des informations. Moi aussi, je glissai dans les abysses du pouvoir et de l'influence. Et ça me faisait marrer.

Assise pour la seconde fois dans le même mois, dans le train qui me mène à Colombes, je ne peux m'empêcher de trouver la situation ironique. Dieu sait que je déteste l'endroit. Et pourtant il a suffit que Senghar réveille mon animosité, pour revenir sur les traces d'un passé lointain. Comme quoi, la vie est pleine de surprise. Et par surprise, il faut comprendre : les moins bonnes d'entre elles.

Pador, ce n'est pas exactement le genre de type qu'on a envie de croiser dans une ruelle un soir de pleine lune. Balafré sur une partie du visage, sa mine pue la défaite. Autant que ses vieux survêtements. Il passait déjà sa vie à squatter en bas des blocs du quartier, je doute qu'aujourd'hui la situation ne soit meilleure. Je me demande ceci-dit si il a enfin troqué son scooter pour un moyen de locomotion plus adulte. Toujours est-il qu'il m'a semblé être une clé importante à mon enquête. Sa proximité avec Rafi du temps où celui-ci passait ses journées à écumer les recoins du stade du FC Colombes, à éveiller mon intérêt. Et comme je n'ai pas grand chose de bien probant à me carrer sous la dent, j'ai sauté dans le premier wagon. Il m'a fallu deux, trois, recherches scrupuleuses pour atteindre ledit Pador. Un coup de fil à la Mairie de Colombes m'a confirmé que le dénommé vivait toujours dans le quartier de la Palissade. Je cherchais Pador, je suis repartie avec son adresse et son pedigree. La chance m'a souri à l'aide d'un petit mensonge de rien du tout : je souhaitais retrouver la trace d'un vieil ami du collège mais excepté son nom de famille et la certitude qu'il résidait bien à Colombes, il me manquait une adresse mail ou un numéro de téléphone sur lequel le joindre. Prise au dépourvu et consciente de ma profonde détresse, la standardiste de la municipalité m'avait mis en attente, le temps de papoter avec quelques collègues de mon cas. Le verdict était tombé au bout d'une petite minute. Elle allait regarder ce qu'elle pouvait faire pour moi. Ça tombait bien finalement, parce que Alban Pador, officiait aux espaces verts de la mairie de Colombes. J'imagine que dans toute quête de vérité, l'aubaine est un sacré moteur.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant