Ce qui ressemble à une étreinte, n'en est en fait pas une. Ses deux mains viennent se poser sur les casiers derrière moi. J'observe les muscles de ses bras se contractés à quelques centimètres de mes yeux. Je sens son odeur parfumée mélangée à la sueur. Une sensation qui m'est familière. Mon corps tout entier est encerclé par l'imposante carrure du joueur. Pour moi, cette intimidation ne mènera nul part. Pour la simple est bonne raison que je n'ai rien à lui donner. Son visage est bientôt échoué contre le mien. La vision rapprochée de ses traits me laisse chancelante. Parce que même furibond, il a ce je-ne-sais-quoi de juvénile. Et derrière la carrure escamotée de Senghar se cache d'immenses peines dont je ne connais pas les secrets.Sa gorge grogne des menaces en l'air que je perçois à peine. Quand il relève son menton pour planter ses yeux dans les miens, je comprends que son attitude n'est pas anodine. Il me reproche quelque chose que je ne peux expliquer. Et l'envie d'en découdre est plus puissante que jamais.
- Qu'est-ce que tu veux ? Finis-je par lâcher.
Son front se plisse et son regard se durcit encore. Il cherche ses mots. Rempile dans sa tête des milliers d'insanités pour trouver celle qui me heurtera suffisamment. Il veut faire mal. Taper dans le vice caché, éviscérer mon âme et torturer ce qu'il en reste. Dans le jargon psy, on appelle ça de l'acharnement. Et lui, va y aller jusqu'au bout !
- Je-ne-veux-plus-jamais-te-revoir, Mara. Est-ce que j'suis clair ?
Chaque mot qu'il prononce est détaché. Comme si il marquait le coup en m'assénant sa réplique. Dans mon esprit, ça fuse à grande vitesse. J'essaye de comprendre pourquoi, puis me ravise. Il ne veut plus me voir. Ça nous fait un point commun.
- Excellente suggestion. Mais tu oublies un détail, et pas des moindres.
Son air détaché me scrute avec intérêt. Il me sait assez audacieuse pour lui rabattre le caquet. Et je ne sais pas pourquoi, il me donne envie de jouer.
- Malgré l'immense ressentiment négatif que j'ai à ton égard, si je suis là aujourd'hui, et même probablement demain, ce n'est que parce que mon chef tyrannique me la demander. Autrement crois-le ou non, j'aurais préféré couvrir une course de ski de fond entre pingouins plutôt que d'avoir à te regarder de trop près.
Evidemment, je ne pense que la moitié de ce que j'ai dit. Mais c'est suffisant pour que je l'entende ricaner. Son rire est jaune, presque malsain. En fait, il se moque de moi. Si mon égo n'avait pas déjà été meurtri trente fois par la même personne en face de moi, j'aurais pu décider de passer à autre chose. Mais là, c'est la goutte de trop.
Vivement, je plaque mes mains sur son torse chaud et le repousse de toute ma force pour qu'il me laisse respirer. Mon excès de violence n'est dû qu'à l'impétuosité de ses réactions. À cet instant, je le déteste encore plus que toutes les fois où il m'a fait éprouver ce sentiment de rancune tenace.
Lui se gausse en douceur. Ne cherchant même pas à apaiser un dixième de ma colère. Lasse, il se retourne pour se laisser aller contre le mur en face, en soupirant. Si je crois à une trêve, on en est bien loin.
- Tu n'as pas changé Mara. Tu restes continuellement persuadée que tu détiens la vérité. Tu veux savoir ce que je crois ?
J'opine du chef. Comme si je le laissais volontairement continuer sa litanie.
- Tu essayes de te prouver des choses en venant ici et tu t'caches derrière ton job de journaliste de merde pour que je te regarde enfin ! Mais c'était y'a dix piges, putain ! Tu te devrais passer à autre chose. Je ne t'ai jamais aimé, et je ne t'aimerai jamais. Alors mets-toi ça dans l'crâne une fois pour toute. J'ai pas b'soin d'une énième groupie dans mon cercle de pisseuses effarouchées ! Ton article de l'autre jour, c'était juste une revanche mesquine. Tu voulais briller, mais ce n'est pas ton destin Mara. Toi, t'es dans l'ombre et faut que tu y restes.
Ses propos sont comme un coup de poignard dans le dos. Il a déblatéré cette merde avec agilité et précision, sans reprendre son souffle. Et je reste interdite. Je n'ai jamais voulu ça. Qu'on se déteste passe encore. Mais qu'il me croit capable de stagner pendant dix longues années, ça c'est mal me connaître. Ahurie, je le regarde dans l'espoir de me tromper. J'ai envie de lisser ses paroles, comme si je ne voulais pas entendre un mensonge que je n'estime pas. Mais il n'en est rien. Senghar ne s'excuse pas et ne le fait d'ailleurs jamais.
Il me nargue de toute sa puissance. La tête posée contre le mur, il ne prête même pas d'intérêt à ma réaction.
Alors, me vient une idée. Pas des plus intelligentes, je le conçois. Mais celle qui me paraît la plus opportune quand le mal est fait et que l'on ne peut déjà plus revenir en arrière.
La garce se réveille. Et puisqu'il a décidé de me trainer dans les coins obscures de mes souvenirs, je lui rends la monnaie de sa pièce. Je l'attaque là, où personne n'a jamais osé.
- Je ne comprends même pas pourquoi tu perds ton temps à essayer de me rabaisser inutilement. Quand on analyse ton score depuis le début de la saison, on se dit que tu ferais mieux de mettre ton énergie au service du collectif. T'es juste mauvais. Et tu préfères en vouloir aux autres, plutôt que de t'en vouloir à toi. La vérité, Nour, tu la connais mieux que moi, t'es entrain de perdre ton statut de légende. Parce que tu agis comme un con.
Son œillade est incendiaire. Je sais que j'ai réussi mon coup. Si j'en éprouve une certaine fierté ? Pas vraiment. Soudain, son bras sombre vient se refermer sur le mien. Si notre distance ne permettait pas que l'on soit proche, elle l'est suffisamment pour qu'il me touche. Dans un élan instinctif, je dégage son étreinte pas peur de représailles. Je n'ai qu'une seule idée en tête, me barrer d'ici. Je ne prends même pas la peine de soutenir encore une fois son regard. J'en ai ma claque.
Je fais rapidement volte-face pour me diriger vers la sortie. Il ne cherche pas à me rattraper. La coupe est pleine, et pour lui comme pour moi. En franchissant la porte au bout du corridor, j'entends un bruit sourd et violent qui transperce le silence. En me retournant, j'entends Senghar gémir de douleur. Son visage est strié par la souffrance. Machinalement, il se baisse pour observer l'état de son pied droit. Si je me réfère au vacarme assourdissant d'il y a quelques secondes, il a du balancer sa basket contre les casiers. Fort regrettable quand on sait que ses deux jambes sont assurés pour un paquet de fric. Je pourrais lui venir en aide, mais je renonce à l'instant où je croise ses yeux obscurcis par la haine. Ses excès de colère ne sont bientôt plus un mythe préfabriqué. Je ne peux rien pour lui. Et de toute façon, je n'en ai pas envie. Comme insensible à sa détresse, je tourne les talons, oubliant qui je laisse derrière moi pour me concentrer sur ce qui me sauvera : la porte de sortie. Une pensée fuse cependant dans ma tête - le match de demain. Il est fort à parier que Senghar soit en difficultés. A l'entente de ses plaintes, le choc a eu l'air violent. Et je sais qu'il ne simule pas.
Dommage Nour... ce qui aurait pu être une belle soirée, s'avèrera probablement un calvaire.
Note de l'auteur :
Salut à toi petit(e) lecteur(-trice),
Bienvenue dans le chapitre du dernier mot. Qui ne sera assurément pas le dernier évidemment. Ici nous faisons face à un problème de taille. NS n'est pas des plus sympathique et SM est en passe de sombrer dans la totale incompréhension. De mon point de vue, je trouve que Senghar est un peu virulent et qu'il devrait se calmer un peu (prendre un Xanax peut aider!). La question existentielle, c'est de savoir si il va réussir à se calmer un jour ? Et si Mara peut l'y aider. Ça, je ne peux pas vous répondre tout de suite. Ça gâcherait le suspens, je ne suis pas folle.
Bon, pronostic pour le match de demain ? Des avis ?
Et cette blessure au pied ? Vaste supercherie ou problème plus sérieux ?
Pensez-vous que Mara va se rendre au match de demain soir ?
AHHH, tant de questions ... jusqu'ici sans réponses. Mais suite au prochain épisode ;-)
La bise,
Em.
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Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...