27. Salle des trophées

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Assis sur le rebord du canapé, je ne l'ai pas entendu arriver. Le monde autour n'y a rien changé – trop absorbé par le match virtuel projeté à l'écran. Lui pourtant est tourné vers moi et n'en a que faire de ce qui se passe à proximité. Je me tiens encore devant cette satanée photo et je suis persuadée que cela ne lui a pas échappé. Comment le pourrait-il ? Ce qui a sonné chez moi comme un glas n'est pas étranger à ce maillot suspendu au mur.

Les bras croisés, il prend plaisir à dépeindre mon corps, sans aucune gêne. Son sourire narquois trahit ses pensées. Je pousse un profond soupir. Je n'étais pas prête à me confronter à lui maintenant. Le contrat est caduque, parce que je viens de me faire happer par la précarité de mes sentiments le concernant. Le temps d'endosser mon rôle de fouille-merde – comme il aime à m'appeler – je pourrais rejouer d'égal à égal.

L'avantage, finalement avec Senghar, c'est qu'on bascule vite dans la confrontation en laissant l'affecte sur le bas côté.

- Tu cherches un scoop ?

Sa voix roque vient me mettre en joute. Le combat vient de commencer. J'ai eu tord de croire qu'il pouvait en être autrement.

- J'observais juste la décadence de ton humanité, trophée après trophée.

Ma réplique ne semble pas le déstabiliser le moins du monde. Il est sans doute habituer à recevoir ce genre de titre de noblesse, gratuitement.

- Impressionnant, n'est-ce pas ?

Son regard parcourt la pièce avec insolence. Il sait que tout ce qu'il y a ici, il l'a fabriqué de ses deux pieds.

C'est tout le paradoxe de Senghar : un parcours exemplaire, une singularité propre mais une personnalité complexe et narcissique qui en fait un véritable con au quotidien.

- T'as oublié d'accrocher ta médaille de modestie, mais sinon, la déco est sympa.

- Personne n'est humble dans ce sport. Tu devrais le savoir mieux que quiconque.

Son ton est monocorde. Ce n'était pas une attaque. Juste un constat.

- Non, je t'assure, dans ce domaine, tu bats encore une fois tous les records.

Je lâche cette demi-vérité avec beaucoup d'aplombs. Dans ce match de mots, j'ai bien l'intention de remporter la mise. Pourtant, rien ne l'atteint. Et j'en ai encore une fois la preuve ce soir. Au lieu de ça, il se lève pour se rapprocher de moi. La proximité qu'il met entre nos deux corps, ne semble pas le gêner. Moi si. Son odeur se répand comme une trainée de poudre dans mon environnement. Et je suffoque de l'avoir trop près de moi.

- Je savais que tu viendrais. Dit-il tout bas.

Personne autour ne peut comprendre ce que nous sommes entrain de nous dire. Pourtant, il a intentionnellement baissé le volume, pour que sa diatribe ne soit entendable qu'à mes oreilles et à elles seules.

Mes yeux scrutent les siens. La lutte est constante. Comment savoir quand l'un d'entre nous baissent la garde ? La profondeur de ses iris me noie dans l'obscurité. À cet instant, j'ai le sentiment d'y lire quelque chose d'indistinct. Et un frisson parcourt mon échine. Je romps tout contact au moment où je sens mon cœur s'emballer d'une atroce manière.

Pour réponse, je racle ma gorge discrètement, ravalant au passage l'immondice sensation contradictoire de son regard sur moi.

- J'avais pas prévu d'être là, en revanche. Je vais... m'en aller de toute façon.

C'est probablement la meilleure chose à faire. Je m'étais promis de mettre fin à tout ça, ce soir. Senghar, l'enquête, ce match raté, le passé de Rafi. Je sais qu'il faut que je m'en éloigne. J'ai vu trop de gens se brûler les ailes dans mon métier, pour en faire les frais maintenant.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant