« Si le silence a du bon, il ne résout pas les agitations de l'âme. ».C'est ce que mon père me répétait à chaque fois que ma tristesse ou ma colère prenait le pas sur mes actes. Pour lui, parler, c'était l'unique moyen de mettre fin à une souffrance qu'importe sa portée. Vaste plaisanterie, quand on pense qu'il s'est barré sans jamais rien dire à personne...
Pour palier à mes nombreuses névroses, j'ai trouvé un réconfort dans le travail qui bien que malsain suffise à apaiser la bourrasque de tourments qui sommeillent dans mon subconscient. Autrement dit, sous couvert d'une vie branlante, je bosse mille fois de trop. Et j'ai l'impression que je détiens la solution miracle à chaque fois que ma conscience part à vau de l'eau.
Yuri a accepté que je suive l'équipe féminine de handball pour la préparation au championnat du monde. La meilleure aubaine du siècle ! En me faisant ce cadeau, il m'a littéralement empêché un lâché de pédales dans les règles. Maintenant, je cours du RER B au centre d'entrainement en ayant l'impression de faire une mission de sauvetage. La vérité, c'est que je me sauve moi-même, de moi-même. Et ce n'est pas rien comme destinée.
Armée de mon éternel calepin, je pavane dans l'enceinte du gymnase, recueillant les meilleurs témoignages pour réaliser un article, sans fausse note. Et j'y prends goût. Voilà deux semaines que je m'arrange avec les vérités de chacun, prenant part à l'échauffement, la préparation physique, les soins prodigués et les ressentis. Je suis devenue la journaliste de l'ombre que j'ai toujours voulu être. Ma présence au milieu du staff technique ne semble gêner personne. Si bien que le matin, personne n'oublie de me préparer le café. Dans cette ambiance, je me sens presque comme chez moi. Le centre d'entrainement est situé en banlieue, dans un espace d'écrin et de verdures. J'oublie qu'à l'intérieure de la capitale, ça grouille comme une fourmilière. Et c'est apaisant, comme sensation.
Le soir, quand il est l'heure de quitter les lieux après une journée à griffonner un tas d'observations, je traine des deux pieds. Revenir dans mon petit appartement me rappelle qu'on ne peut pas fuir le désordre sans y faire face. Alors je m'assoie dans le métro, je laisse passer les gens, je réfléchis à mon papier, je divague gentiment vers des pensées plus joyeuses, j'évite les réseaux sociaux, je ne tape pas de noms fâcheux dans une barre de recherche et surtout, surtout, j'oublie que le football est ma première passion. Et comme je mets du cœur à l'ouvrage, je réponds à un message sur cinq, quand il s'agit de Selim. J'ai même la chance de m'épargner les réunions de rédaction du lundi matin. Ce dossier est tombé à point nommé !
Seulement... ça fait deux semaines maintenant. J'ai glissé hors d'atteinte, mais je ne suis pas stupide. Je sais que je vais me faire rattraper parce que j'ai moi-même réveillé.
Ce matin, ne déroge pas à la règle. Je m'engouffre dans le wagon, loin du tumulte de la ville. Je trimballe une satisfaction biaisée. Celle d'avoir l'impression de faire mon job, sans ombres au tableau. Je me félicite de mon professionnalisme. Et l'idée même de pondre un article grandiose me remplie d'une hargne sans borgne. Je ne suis pas douée pour la psychologie. Si c'était le cas, je ne me serai jamais mis dans un tel pétrin. Mais force et de constater, que je fais juste semblant de m'intéresser à une équipe de handball féminin pour taire mon égo rabougri.
Il m'a planté dans mon appartement. Et depuis, c'est silence radio.
Ça n'a rien de surprenant et pourtant je m'étonne à chaque fois. Il y a t-il si peu de choses qui comptent pour lui ?
En face de moi, un jeune cadre dynamique feuillète le dernier numéro de Team +. Coincé dans cette rame de métro, il laisse ses yeux parcourir les missives que mes collègues ont mis tant de temps à rédiger. Je le vois, froncer des sourcils. Esquisser un sourire. Se voiler le visage d'un air plus concentré. La une du journal pend entre ses mains. Difficile d'y faire abstraction.
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Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...