Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |

58. Un air du passé

Flashback - Septembre 2006. / Ptv Nour Senghar

Selim passe son bras autour de mon cou en beuglant dans mon oreille. Vif, je me dégage pour laisser de l'espace entre nous deux. Il me sourit de toutes ses dents et on se check, contents de se revoir après les grandes vacances. Rafi est derrière nous et ne manque pas une miette de la scène. Il rit discrètement, comme à son habitude. Un mois qu'on a pas trainé ensemble tous les trois. Ça fait plaisir de retrouver ses frères.

On marche tranquillement vers le bahut qui n'est plus qu'à quelques mètres. Au loin je peux apercevoir le stade de foot de Colombes. J'ai hâte d'enfiler mes crampons ce soir pour l'entrainement. Mon début de saison est presque parfait, si ce n'était pas teinté par mon mal de dos constant. Il y a des jours où c'est insoutenable, et d'autres où je m'en accommode. Le chirurgien a dit que la douleur devait s'atténuer avec le temps. J'aimerai bien savoir quand ? Avec la saison que Ari nous a concocté, je ne risque pas de me reposer. J'ai un nouveau traitement depuis quelques jours qui semble être plus efficace que le précédent. On verra bien.

- T'as pris quelle option toi ?

Selim me sort de ma rêverie. J'sais plus vraiment de quoi on discutait il y a cinq minutes.

- Anglais, avancé. Dis-je.

- Tu vas te retrouver avec tous les littéraires à lunettes mon pote !

Selim est hilare. J'le regarde consterné. Qu'est-ce que j'en ai à foutre franchement ? C'est pas comme si, j'avais l'habitude d'être un grand bavard en cours.

- Ferme ta gueule, frère ! Tu vas faire quoi toi ? Des cours de rattrapage pour bien tirer le ballon dans un but ? Répliquai-je.

Raf et Selim ricanent à ma blague et ils m'entrainent moi aussi dans un éclat de rire bon enfant. Ils m'ont manqué ! Mais j'vais pas leur dire, c'est pas spécialement mon genre de faire des déclarations. C'est le premier été où je pars en camp d'entrainement à l'Institut National de Football. On est douze sélectionnés dans toute la France pour participer à ce stage. J'ai eu d'la chance, je le sais. Là-bas, j'ai appris la rigueur qui me manquait à Colombes. Loin de mes potes, j'ai compris que j'étais plus concentré encore pour parvenir à mon objectif ultime. J'ai forgé mon mental. J'sais que je suis plus fort, plus solide pour affronter la saison qui arrive. Seulement, jouer avec Rafi, Selim et Ugo, c'est ce que j'connais depuis que je suis tout petit. Pour moi, le football, c'est eux.

- Ari m'a foutu sur le banc au dernier match. Me confit Selim.

Je n'ai pas assisté au démarrage des premiers matchs à la rentrée. Je viens à peine de poser mes valises à Colombes après des semaines passées à Clairefontaine.

- Pourquoi ?

- Il y deux nouveaux dans l'équipe, j'suppose qu'Ari avait besoin de tester leur résistance.

- Dis plutôt, que le nouveau milieu de terrain est plutôt efficace. Ironise Rafi.

- Il s'débrouille, ça va. C'est pas Senghar.

Selim me fait un clin d'oeil.

- Personne n'est moi à part moi. Tranchai-je.

Nous continuons à nous chambrer comme des gamins que nous sommes. La cour du lycée se remplit au fur et à mesure que les minutes passent. Je revois les visages familiers, ici, on se connait tous depuis toujours, sans jamais rien savoir de nos vies. C'est Colombes qui veut ça ! Faire parti de l'équipe de football offre une visibilité particulière. Être le meilleur de son club, d'autant plus. Les filles me scrutent de la tête aux pieds, si elles savaient à quel point ça me déstabilise. Je baisse la tête timidement. Le regard des autres me rend tellement vulnérable en dehors d'un terrain de football, c'est comme si je ne savais pas décoder les relations sociales. Ce n'est pas le cas de Selim. Ça ne l'a jamais été. Il nage au milieu des autres avec une aisance qui me fait rire. Et lorsqu'il s'arrête, le coeur sur la main, le sourire au zénith, je comprends que son regard se dirige vers elle. Comment pourrait-il en être autrement...