Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |

66. Une longueur d'avance

Un long soupir prend place entre nous.

- J'veux pas que tu t'brûles les ailes avec Savage, Sek. Désolé d'agir comme un gros con. Mais te savoir loin de tout ça, ça m'rassure plus, tu comprends ?

C'est la meilleure.

- T'as pas bien compris en fait... je marque un temps d'arrêt. C'est pas comme si j'avais le choix. Ma photo est placardée partout dans la presse, mon chef vient de me tomber dessus en pensant que j'fais passer mes petites coucheries avant mon job, est-ce que tu crois que j'ai le choix ? Faut que j'lui donne ce qu'il veut, autrement ma carrière meurt en même temps que la tienne. Il va rien lâcher. C'est un journaliste.

Je cris presque. Rafi et Selim arrivent rapidement devant la porte de la cuisine, sûrement inquiets de la tournure que prend cette conversation. Nour me mitraille. Ses gestes deviennent plus mécaniques. Il passe plusieurs fois sa main dans ses cheveux, comme pour chercher à calmer ses nerfs, mais il n'en est rien.

- Mais putain Mara, c'est toi qui a enquêté sur moi en prétextant un papier sur ma carrière. Tu t'attendais à quoi ? À ce que personne ne le découvre. J'allais bien jusqu'à ce que tu débarques ! J'aurais pu garder à distance Savage encore quelques années, le temps que ma carrière s'arrête. Mais il a fallu que tu te mêles d'une histoire qui n'était pas la tienne.

Ses mots me transpercent. Parce qu'au fond, je sais qu'il a raison. Je reste interdite. Lui se mord la lèvre, déjà conscient de l'impact de ses mots sur moi.

- Arrêtez tous les deux. Lâche Selim froidement. J'en ai assez.

Nour et moi se retournons vers lui vivement.

- Vous faites tout le temps ça. Ses doigts miment notre querelle. Mais, ça vous amène où tous les deux ? À vous détester alors que l'un sans l'autre vous êtes incapables de respirer correctement ?

Ses mots me heurtent. Je sens mon coeur bondir à l'intérieur.

- Je sais que c'est une situation compliqué pour tous les deux. Continue t-il. Mais on doit se serrer les coudes et foutre ce connard de Savage au tapis. Pour que chacun puisse tourner la page. Moi et Rafi y compris. On a besoin d'allier nos forces, pas de s'envoyer les pires horreurs à la gueule dans une cuisine. Vous n'pensez pas ? Vous aurez tout le temps de vous en vouloir un autre jour. Il finit par soupirer fortement. Mais si vous voulez mon avis, pardonnez-vous. Ça fera plaisir à tout le monde.

Sa conclusion est teinté d'insolence. Mais cela m'apaise un instant. Nous opinons favorablement en son sens. Je me garde bien d'observer Senghar. Je me sens nulle tout à coup. Ce débordement d'émotions, c'est tellement pas moi. Cependant, je n'y peux rien, je ressens cette hargne dans ma chair et je ferai mieux de la diriger au bon endroit cette fois-ci.

Résignée, je me tourne vers Nour.

- C'est quoi ton plan ? Demandé-je la voix légèrement plus grave que d'habitude.

Il me fixe surpris. Tout le monde est suspendu aux lèvres du champion. Lui qui a l'art de se mettre dans le pétrin, peut-il être la clé d'un dénouement heureux ?

- J'peux convaincre des joueurs de témoigner contre Savage. Si c'est moi qui les rencontre, j'aurais un avantage. Ils me font plus confiance qu'à un journaliste. S'explique t-il, conscient de ce que cela représente.

- Si tu fais ça, ta couverture va voler en éclats. Personne ne va comprendre pourquoi tu te mêles d'une histoire de match truqué, il y aura forcément une enquête.

Je suis étonnement détendu en disant cela. Je le vois réfléchir un instant.

- Mara, à part toi dans cette pièce, personne ne sait que je me suis explosé le pied dans le casier la veille du match pour lequel Savage m'a demandé de faire perdre mon équipe. J'ai tiré un penalty, je l'ai raté. Fin de l'histoire. Tu es la seule ... témoin. Il poursuit. Et même si Savage affirme que j'ai truqué le match, comment est-ce qu'il peut le prouver ? Ce serait des mois d'enquête... La seule chose qu'il peut me mettre sur le dos, c'est le trafic de dope. Mais je suis prêt à assumer les conséquences. Ça a trop duré.

À l'intérieur de la cuisine, tout le monde se crispe d'un coup. Savoir que Senghar est prêt à prendre ce risque pour faire tomber Savage, ce n'était pas l'option que j'avais prévu. Je finis par murmurer :

- La seule façon de jouer à présent, c'est d'avoir toujours une longueur d'avance sur lui.

On s'observe tous les deux intensément. Je sais qu'il a compris là où je voulais en venir. Rafi et Selim sont silencieux. À la fois intrigués et perdus.

- On va prendre les devants. Dis-je tout bas.

- Et révéler au monde entier que je suis un drogué au Fentanyl. Conclut Senghar.

- « Ancien » drogué. Rectifié-je.

- Repenti. Claironne t-il.

- Mais un grand champion. Souris-je face à lui.

Il me regarde amusé. Rafi et Selim sont totalement désorientés. J'entends le second demandé ce qu'on est entrain de trafiquer. Le premier est muet comme à son habitude. Je me tourne alors vers eux, le visage taquin. Comme si l'illumination m'avait frappé, d'un coup.

- On va leur servir une histoire. Une histoire à laquelle chacun peut s'identifier. On va raconter à quel point poursuivre un rêve demande des sacrifices. Qu'être un grand champion ne veut pas dire ne pas commettre d'erreur. Que la jeunesse a de cela quelque chose de fragile. On prend parfois des décisions qui nous dépasse. Cette histoire c'est celle de Nour Senghar. Mais pas que. C'est aussi celle de l'opinion publique. Une fois que tout le monde saura pour la dope, Nour devient inattaquable sur ce sujet. Un champion reste un champion...

Selim esquisse un sourire discret. Il connait ce stratagème. Il sait comme moi à quel point c'est délicat, mais c'est également la meilleure option.

- Tu rédiges ? Me lance t-il.

- J'vais écrire le papier. Et ça aura au moins le mérite de faire patienter Yuri.

- Et ensuite ?

- On ne change pas le plan initial. L'objectif c'est de faire flancher Savage.

- On se met au travail. Prévient Rafi.

Tous les quatre dans cette cuisine, nous avons conscience de manipuler des faits précieux et faillibles. Si on se plante, on le fait ensemble. C'est vertigineux et grisant à la fois. Je me demande si ce n'est pas l'essence même de mon métier. Toucher de près l'impensable et finir toujours par protéger mes intérêts. Ceux de Nour. Ont toujours été les miens...

Note de l'auteur :

Hello,
Voici la partie 2 du chapitre.
Il m'en reste un encore de côté mais il faut que j'accélère lecture des autres.
C'est en cours... et la semaine prochaine s'annonce plus calme de mon côté. (Enfin ça le sera vraiment d'ici une quinzaine de jours).

En attendant, j'espère que ça vous a plu.
N'hésitez pas à me raconter tout ça en commentaire 😊

La bise,
Em.