28. Lettre ouverte

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Paris, le 4 février 2007,

Cher Nour,

Je n'aurais peut-être jamais le courage de poster cette lettre. Me mettre à nu devant toi, au propre comme au figuré, est rarement une bonne idée. Si seulement, j'en retirai quelque chose. Si seulement, tu avais le pouvoir de m'apaiser, plutôt que de me blesser.

Ces mots résonnent durement. Peut-être est-ce dû à la violence avec laquelle tu t'en es allé.

Durant ces longs mois, je me suis souvent posée la question de savoir si je te pardonnerai un jour. La réponse, tu t'en doutes, est que non.  Ce que tu as fait, ce que tu m'as fait, ce n'est pas quelque chose qu'on excuse. Parce que ça fait si mal, qu'on se demande si on le mérite ne serait-ce qu'un tout petit peu.

J'ai repris le cours de ma vie. Cet emménagement à Paris, l'école de journalisme, les nouvelles connaissances autour de moi, m'y ont certainement aidé. Au fond de moi, je cache cette douleur lancinante, celle de n'être à présent qu'une page cornée d'un cahier d'école. Ton cahier d'école. Et si il m'est difficile de faire abstraction à l'engouement que tu provoques depuis quelques mois, crois-moi que je mets tout en œuvre pour en être la plus étrangère possible.

Hier, il a fallu que je choisisse l'option dans laquelle j'avais envie de me spécialiser. Tu savais que le journalisme était mon rêve, tu ne seras donc pas étonné si j'ai choisi de poursuivre ma voie dans la section sportive. J'ai longuement hésité. Faire ce choix, c'était mettre un pied encore un peu plus près de toi. Mais voilà, tu as concrétisé ton rêve, pourquoi je ne m'autoriserai pas à en faire de même ?

Je sais que tu risques de monopoliser ces prochaines années, les rubriques foot de tous les journaux nationaux. Si tu y parviens, c'est que tu as réussi. Sinon, tu m'envoies désolée pour toi. Je sais combien ça t'a coûté de faire ce choix de carrière. A combien s'élève le prix de tes sacrifices ? Est-ce que tu en as seulement conscience ? Alors, je te le souhaite... de réussir. Que tu n'ais pas fait tout ça pour rien. Que tu n'ais pas laissé sur le bas-côté, ceux qui un jour ont cru suffisamment en toi pour te permettre de devenir ce que tu es aujourd'hui. Parce qu'à moi aussi, Nour, ça m'a coûté.

Si je t'écris, c'est parce que j'avais besoin de formuler cet amer sentiment qui me guète à chaque levée du jour, depuis quelques mois. Celui de n'avoir été qu'un faire valoir dans ta vie. De la déception, la colère a pris le pas. Et je m'en veux, de ressentir cet boule de feu qui veut tout et rien dire, depuis ce fameux soir. Le même où tout a basculé, alors que rien ne le présageait.

Tu le sais sans doute, mais Maman a déménagé de Colombes. La dernière fois que j'y ai mis les pieds, c'était pour vider la maison de mon enfance. J'ai déposé à ta mère, le reste de tes affaires, une vieille médaille, ton contrôle de français, un sweet que tu avais oublié. Elle m'a regardé l'œil triste. Pas parce que tu lui faisais honte, non, mais parce que moi, je lui faisais pitié. Dix fois, elle m'a répété qu'elle était désolée. Et tu sais ce que j'ai fait ? J'ai minimisé comme toujours. Et j'ai menti, comme souvent. Pour l'apaiser, elle. Pas moi. Depuis, je sais qu'elle dort sur ses deux oreilles. Alors si je lui donne l'illusion un tant soi peu, que tu es quelqu'un de bien, j'aurais rempli ma mission. Je le fais pour elle. Parce que c'est une femme d'exception que la vie n'a pas épargné. Et ça me tuerai qu'elle sache au fond, quel genre de personne tu es.

Je ne cesse de me demander si je ne donne pas à cette histoire un pan dramatique sans le vouloir. Mais je crois que quand il s'agit de sentiments, peu importe, qu'aux yeux des autres, cela ne fasse pas sens, dans mon coeur à moi, c'est de la bouillie, que personne ne peut réparer.

Peut-être que tu es comme mon père en fin de compte. Tu as pris ce qu'il y avait à prendre et tu t'es envolé à la vitesse d'une météorite, quand il n'y avait plus rien à gagner. Il n'empêche que ton silence est une souffrance indescriptible. Plus encore, quand il ne s'applique pas aux autres. Selim ne cesse de faire des éloges sur ta saison dans ton nouveau club. Et je l'écoute, sans broncher me relater tes prouesses. Si je lui disais vraiment, ce qu'il y a au fond de moi, je ne suis pas sûre qu'il puisse le comprendre. C'est de ma faute. J'aurais du lui expliquer à quel point tu avais compté pour moi, au lieu de prétendre le contraire. Si je perdure dans une peine immense, elle m'est propre. Et elle ne se raconte pas.

Il m'a dit que vous projetiez de vous revoir aux vacances de printemps. C'est là que j'ai compris, que le seul contact que tu avais rompu, c'était celui que tu entretenais avec moi. J'ai conscience que je n'ai rien fait pour que ça arrive. Mais c'est un fait. J'espère au moins que tes raisons sont valables à tes yeux, à défaut de l'être aux miens.

Alors, voilà, je crois qu'il ne me reste plus qu'à te souhaiter une longue route vers le succès que tu attends depuis si longtemps. Je tâcherai de construire ma carrière loin du club où tu décideras d'aller par la suite. Au fond, en choisissant le journalisme sportif, ce sera l'occasion de m'intéresser à d'autres disciplines que celle qui nous a réuni un jour. Et puisque nous n'avons plus rien en commun à cet instant précis, il est temps pour moi de refermer la parenthèse de cette histoire qui n'avait de valeur que dans mon esprit.

Bon courage, Nour. Quelque soit les choix que tu fais, fais-les bien.

Soisek.


***


Je ne l'ai jamais envoyé. Ni même jeté, d'ailleurs. Elle est restée cloitrée dans un tiroir pendant plus de dix ans. Et c'est seulement aujourd'hui, que j'ai décidé de la déplier pour lire le contenu. Ces mots, je me souviens parfaitement les avoir écrit avec autant de justesse que possible. Ils raisonnent amèrement. Je prends conscience que je lui en veux toujours. Et j'avais raison, quand je lui disais, que je n'étais pas certaine de lui pardonner un jour.

De ce recueil, je n'en tire que les affabulations d'une adolescente au cœur brisé. Mais je sais que tout ce que j'ai dit, est vrai. Au delà du silence qu'il a installé entre nous depuis tant d'années, je n'ai pas oublié le reste. Et les morsures infligées avant et après son départ. Senghar, c'est l'objet d'un tracas qui perdure. Bien sûr que je devrai m'en tenir éloigné. Mais je n'avais pas prévu, qu'il revienne comme un boomerang, alors que cette fois-ci, j'étais prête à tirer un trait.

Cette photo, accrochée au mur de sa salle des trophées, c'est ça qui m'a fait ouvrir la boîte de Pandore. Intérieurement je lutte pour ne pas me laisser assaillir par d'autres souvenirs. Je n'ai jamais résolu son énigme. Je n'ai jamais su pourquoi j'avais eu besoin d'écrire cette lettre. Mais je l'ai fait. Et j'ai beau chercher dans ma mémoire, je n'explique pas ce qu'il s'est passé il y a dix ans.

Au pied du mur, je crois qu'il faut que je fasse un choix. J'avais résolument décidé d'arrêter mon enquête. Parce que irrémédiablement, elle me plonge dans le passé. Et que ce passé là, n'a pas sa place dans ma vie actuelle. Senghar, aussi puissant soit-il de par son statut, ne sera jamais la bonne personne pour moi. A quoi ça me sert, de graviter autour ? Si ce n'est de créer des relations ambiguës qui me foutent en l'air, le soir venu.

Alors non, je ne suis plus l'adolescente que j'étais. J'ai grandi. J'ai construit des choses aussi infimes soient elles. C'est pas pour que tout parte à vau de l'eau maintenant. Il est exempté de tous regrets, et ne les formulera jamais. Qu'on se le dise, je n'aurais jamais ce que je veux. Il ne me demandera jamais pardon. Et rien n'aura jamais plus la même saveur que ces années d'insouciance que l'on a partagé.

Il a encore une fois gagné. Je jette l'éponge. Je ne saurais jamais réellement ce qu'il s'est passé lors de ce match. Pourquoi est-ce qu'il a failli alors que ce n'est pas dans ses principes. Et je ne découvrirai jamais pourquoi Rafi s'est fait enrôlé dans une histoire graveleuse alors que rien ne le prédestinait. Même si je meurs d'envie de comprendre, j'ai trop d'estime pour moi pour flancher. Et si je poursuis ma quête, j'en connais déjà les conséquences. Et je n'ai pas envie de les assumer maintenant.

Je replis soigneusement la lettre pour la ranger là où elle se doit de rester. Peut-être qu'un jour, j'aurais le courage de la brûler. En même temps que l'obscur regard de Nour que j'ai cru un jour, ne plus jamais revoir...

Note de l'auteur :

Alors cette lettre... elle vous parle ou pas? 💌
Vous avez compris qu'il s'est passé quelque chose et puis, plus rien. Patience, vous le découvrirez au fil de la lecture. Mais je n'étais pas prête à tout vous dire, aujourd'hui 😊.

Je suis assez contente de la tournure que prends l'histoire. J'espère que vous aussi. On est encore loin de toutes les révélations. Mais j'ai hâte de vous les conter une à une.

Bisous à vous 💋❤️

J'attends vos com et vos votes !!!!

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant