23. Taxi

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Ce matin, j'ai la sensation qu'une centrifugeuse  m'a littéralement retourné le cerveau. La faute à cette Tequila citronnée et mon manque de limites.
Je n'ai d'autres choix que d'affronter cette journée avec un peu de ma lucidité perdue. Où j'en étais hier soir avant que les litres d'alcool que j'ai ingurgité ne viennent monopoliser une partie de mes neurones?

Bâtiment de Team +, interview de Senghar, Teq-Paf avec Mèl, discussion fortuite avec un banquier, Selim paternaliste, oeillade mortelle... ça y'est, j'y suis !

J'ai quitté le bar avec la main de Senghar agrippée à mon poignet. Une fois dehors, il l'a lâché vivement, comme si une décharge venait de lui brûler les doigts. Je n'ai pas réagi, j'étais aussi efficace qu'une huître demi-morte.  Deuxième round, il a plaqué sa joue chaude contre la mienne et s'en est allé dans une berline aux vitres teintées qui attendait patiemment sur le trottoir d'en face. On s'est fait la bise... Comme deux êtres humains dotés d'éducation et de valeurs sociales ! Impensable. J'ai regardé autour de moi, j'ai compris que personne n'avait trouvé ça bizarre excepté moi et mon alcoolémie.

Et ensuite ...

Selim voulait commander un taxi. Ugo et Mel sont rentrés à pied. Et Rafi est resté à mes côtés, proposant soigneusement de me ramener chez moi puisque c'était sur sa route. On a sauté dans sa voiture de sport dernier cri, j'ai eu envie de vomir dès le premier virage et il a mis une musique électro pas terrible, qui m'a fait mal au casque. Quand il a compris que je virai dans les tréfonds de l'angoisse, le son s'est tue. Seul le silence régnait dans l'habitacle du véhicule. Le genre de calme apaisant après une cuite stratosphérique.

Mais qu'est-ce qu'on a bien pu se raconter ?


Avachie contre la fenêtre côté passager, je regarde défiler le paysage urbain. Rafi tapote ses doigts contre le volant de son gros cylindre. Il fait nuit noire dehors. L'automne s'installe en expulsant les beaux jours en vol charter. J'ai le seum. Mon chauffeur a une conduite sportive. On détale à la vitesse de la lumière sur les grands boulevards, le moteur vrombissant. 

- Ça va ?

Rafi fend l'air du son de sa voix. Je me retourne pour l'observer. Sa longue barbe noire entoure toute sa mâchoire lui conférant un aspect dangereux. Pourtant derrière cette coquille compromettante, se cache une tiédeur affable. Je marmonne un oui en guise de réponse. Mais Rafi El Hadi est bavard ce soir. 

- Nour m'a dit que l'interview s'était bien passée. C'est toi qui as préparé les questions, c'est ça ?

- Ouais.

J'hausse les épaules. Je ne vois pas ce que ça peut faire ?

-  Et tu n'es pas arrivé trop en retard à la rédaction ?

Mes sourcils se froncent. J'ai compris où il voulait en venir, pas besoin d'un décodeur. Je suis encore sous les effets latents de la Tequila, mais je ne suis pas stupide.

- Mara, je sais que tu es allée voir Pador aujourd'hui.

Tiens donc. Il est possible que je fasse un pas dans ce pays sans que personne ne le sache ?

-  Je croyais que vous n'étiez plus en contact. Crachai-je.

- Pas tout à fait.

- Putain.

- Le prends pas mal. J'étais au courant avant même que tu ne mettes un pied à Colombes. Je, je ne t'en veux pas. À vrai dire je te comprends.

Son ton n'est pas blindé de reproches, ce qui m'étonne. Il adopte une posture bien plus détendue, or le sujet que nous abordons n'est pas l'un des moins délicats de mon répertoire.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant