29. Lundi soir

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- Tu vas bien Sek?

Selim, mastique son sandwich comme si sa vie en dépendait. Installés sur une terrasse, notre pause déjeuner se fait contre la température en chute libre de ce mois d'octobre.

On se s'est pas revu depuis l'after organisé chez Senghar. Alors en se croisant en réunion de rédaction ce matin, on en avait profité pour prolonger le moment en s'offrant un repas, non loin du journal. Je n'avais pas osé lui raconter la suite de mon week-end, à ruminer de la merde en boîte de conserves. Mais ma mine contrariée devait en dire long. Parce que c'est l'œil soucieux qu'il s'adresse à moi.

- Hum. Ouais.

Triturant ma salade à 4€50, j'ai du mal à soutenir son regard comme à l'accoutumé. J'ai l'impression d'être le genre d'amie pas fiable, un pied dans la mauvaise conscience. C'est sûrement stupide. Mais tout transparaît sur mon visage.

- T'as trouvé des sujets à creuser pour ces prochaines semaines ?

Il me regarde avec ses deux billes rondes. Tentant vainement de faire la conversation, avec mon fantôme. Mentir, dire la vérité, jouer sur les mots, omettre placidement, je ne sais pas quoi faire. Mes couverts s'étalent sur la table à manger. Eux aussi en ont marre de faire semblant. Une voix me murmure de lever le voile sur une partie de mes petits secrets. Alors je lance, ennuyée :

- Je... je travaillais sur un truc. Mais, j'ai pris la décision de laisser tomber. Pour des raisons... multiples, en fait.

C'est vague, ça n'a même aucun sens. Mais au moins, c'est vrai. Et ça a le mérite de m'apaiser un temps soit peu.

- Quel genre d'affaire? Lance t-il, véritablement intéressé.

- Si je te le disais, je pense que je serai obligée de te tuer!

Selim écarquille les yeux, surpris du ton quelque peu dramatique que j'emploie. Dans sa tête, tout ça ne doit pas être si grave. Je fabule certainement. Et ça doit lui convenir, parce qu'il hausse les épaules en lâchant un ok, l'air détaché.

- Et toi, ton enquête sur le site de pari en ligne, dont tu m'avais parlé... ça avance ?

Le changement de sujet convient parfaitement à Selim, puisqu'il se lance dans des explications houleuses qui me permettent d'éloigner mes tracas. Clubster par ci, Clubster par là... argent, influence, bookmakers, cotes, indices, pourcentages, match truqué...

- Match truqué ? Coupai-je.

- C'est déjà arrivé, ouais.

Voyant mon air réfléchi, Selim se gausse d'avoir enfin un auditoire à sa portée.

- Une fois, dans un match de division 2. C'est plus simple pour les tricheurs de passer inaperçus dans des matchs à faible audience. On a encore jamais vu ça en ligue 1. Et j'pense qu'avec les contrôles de la fédération, c'est pas prêt d'arriver !

- Mais « ils » y gagnent quoi à tricher ?

- Ça paraît évident non ?

Oui. Dis comme ça. Mais on parle de personnes qui gagnent de l'argent rien qu'en signant un bout de papier qui les rattache à un club. Pourquoi chercheraient-ils à avoir plus ?

- Sek, parfois c'est juste jamais suffisant...

J'ai une multitude de questions à poser à Selim sur tout ça. Comment s'y prennent-ils pour tricher ? Qui est au commande ? A qui profite le truquage ? Etc... mais j'ai peur d'éveiller les soupçons. Alors au lieu de l'ouvrir, je referme ma mâchoire, consciente que quelque chose vient de balbutier en moi. Puis je me rappelle que je ne devrai pas. Et pour la trentième fois depuis un bail, j'ai la raison prise dans un étau.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant