2. Le lundi matin

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Les réunions de rédaction du lundi matin, ressemblent à s'y méprendre à une ruche bourrée d'abeilles. L'ambiance y est survoltée. C'est là qu'on décide du sort de chacun. Qui fait quoi ? Qu'elle va être le prochain sujet à traiter ? Qui va réussir à mettre la main sur l'information la plus prometteuse ? Les langues se délient, s'apostrophent et s'encanaillent. La beauté du spectacle est saisissante quoique un brin formatée.

Yuri Kosesko, le rédacteur en chef, un type à la quarantaine assumée, mélange entre un bobo parisien et un mec de l'Est, joue les arbitres. Tenant ses joueurs par leurs attributs, capable de défaire et refaire une carrière en un claquement de doigt.

Tout le monde joue les peignes-culs, personne ne dit jamais non et Yuri en ressort satisfait, comme à chaque fois.

Chaque réunion se joue dans une effervescence d'avant match. On calcule, on pronostique, on s'arrache les paris. Qui va gagner ? Qui va rentrer à la maison avec le poids de la défaite ? On parle stratégie, technique et méthode, dans une ferveur brûlante.

Certains pleurs leur investigation ratée, d'autres, le match de la veille aussi rasoir qu'une partie de bridge dans un Ephad. On crie beaucoup. Comme des animaux retenus en cage. Parce que c'est notre boulot. Celui pour lequel on se lève le matin, les yeux fatigués d'une nuit à déjouer la réalité du sport.

Pour nous, rien n'est acquis. On sait qu'on va devoir faire de notre mieux à chaque fois. Trouver l'inspiration quand rien ne la provoque. Ou au contraire, s'approprier un scoop comme si c'était nous qui l'avions crée de toute pièce.

Ce matin, je sais que l'article que j'ai mis tant de temps à produire va être au centre de toutes les spéculations. Comment ai-je fait pour renifler l'information ? Qui ai-je soudoyé pour accéder à ce tas de merde qui gangrène une équipe de nationale ? Pourquoi moi et pas un autre ?

Yuri va se féliciter d'avoir des équipes de renifleurs, mes collègues vont masqués leurs dégoûts et se remettre au travail bien vite, quant à Selim, je sais qu'il sera fier de moi. Il l'est toujours d'ailleurs. Lui et moi, on est une équipe. On marche main dans la main depuis toujours.

Selim, plus que n'importe qui, sait que la partie de poker de la semaine, commence le lundi matin. C'est toujours le premier à faire tapis, l'œil moqueur. Il sait, que c'est lui qui remportera la manche. Comme tous les lundis matins, Selim est sur le qui-vive.

Il y en a qui sont dotés d'une expérience aguerrie, et il y a Selim. Capable de flairer l'information comme un chien en pleine chasse. De jour comme de nuit, il peut réaliser l'impensable. Toujours là où l'on ne l'attend pas. C'est le meilleur de nous tous.

Ce matin, Selim allait encore une fois nous démontrer son génie. Et j'avais hâte d'assister au chaos de ses adversaires.

Il est 10h00 tapante. Assise en salle de réunion, j'attends patiemment que le cirque commence. Le soleil filtre à travers les stores, le mois d'août semble durer une éternité. A côté de moi, reste une chaise vide. Celle de Selim. Plus pour longtemps.

- J'ai des places pour SCP contre Rennes samedi soir, ça te branche ?

- Non.

- SCP contre Rennes et tu dis non ?

- Ça pourrait être SCP contre n'importe qui, que je dirai non.

Selim n'a pas l'air convaincu. Il ne l'est jamais. Non n'était pas une option. Non, n'est pas à envisager.

- Je passe te prendre à 17h00 samedi. Me souffle t-il à l'oreille.

Au même moment, Yuri fait son entrée. Pas n'importe quelle entrée : celle de Yuri. Le grand pontife, s'assure que ses arrières sont bien gardées.  Ses deux assistantes font le pied de grue devant la porte. Les réunions du lundi matin sont sacrées. Personne, n'a le droit de venir déranger l'entité rédactionnelle qu'a si soigneusement formée Yuri. Personne.

Bientôt, l'actualité vient corroborer la ligne éditoriale de la semaine. Maria, ira couvrir le prochain tournoi de Tennis en Suisse. Selim prendra un aller-retour Paris-Dijon pour les internationaux d'escrime. Et Gaël finira la semaine avec le match SCP contre Rennes. L'apothéose. Le pompon sur la Garonne. SCP contre Rennes.

Ça y'est. La semaine est bouclée. Vous pouvez vous mettre au travail mesdames et messieurs.

Tout en rangeant mes affaires, je me rends compte que les seuls dossiers que m'a refilé Yuri, sont des tas de bullshits qui trainent depuis des mois sur les bureaux de Team +. J'attendais un peu plus de reconnaissance de sa part. M'être paluchée des nuits entières à étayer mes propos, n'ont pas eu l'air de suffire. Alors, je souffle. D'exaspération et de frustration. Selim me caresse le dos. Il me caresse toujours le dos quand il sent que ma colère reprend du service. Alors, je m'adoucie. Au moins pour les prochaines minutes.

Yuri attend dans l'encadrement de la porte. Il discute avec l'équipe. Donne ses dernières instructions. Vérifie que ce qu'il a imposé plus tôt a bien été compris par ses paires. Il ricane. Se gausse. Réfléchie. Ordonne.

Je sais que ça va être mon tour.

Selim passe avant moi. Yuri n'a rien à dire à Selim. Yuri n'a jamais rien à redire sur Selim.

Tandis que je m'approche de lui, je vois son sourire disparaître. J'ai déjà froid dans le dos. Putain, mais qu'est-ce qu'il a encore à me reprocher ? Ça ne lui suffit pas que la moitié de son équipe ne dorme pas plus de 3h par nuit ? Faudrait encore lui chier des merveilles !

Il me fatigue.

- Quoi ? Je lui demande, légèrement sur la défensive.

- Rien. Répond t-il le visage fermé.

Figée, en face de lui, je décide de ne pas bouger. En toute vraisemblance, il a l'air d'avoir quelque chose à condamner. Je croise les bras, je hausse les sourcils. Et j'attends. Nos regards se croisent. Soudain, une lueur malicieuse s'empare de ses prunelles.

- Excellent article au passage. T'as du talent Mara. Fais en sorte de ne pas le gâcher.

- C'est pour ça que tu me mets au placard ?

- Tu me remercieras plus tard. Pour l'instant, fais ce que je te dis ! Crier au scandale quand il y a en a un, c'est ton métier. Mais savoir se faire tout petit, ça l'est aussi.

Je ne comprends pas sa dernière phrase. Mais il ne me laisse pas le temps de rétorquer quoi que ce soit. Il a déjà filé dans les méandres du couloir. Et ma fatigue ne fait qu'accroître ma susceptibilité. Faut vraiment que j'aille dormir.


Note de l'auteur :

Bienvenue aux réunions de rédaction du lundi matin. Petite entrée en matière pour vous décrire l'ambiance de la rédaction. Le métier de Soisek va avoir une importance capitale pour la suite...

Dans le prochain chapitre, vous aurez l'immense privilège de participer à un match de foot. Alors pour tous ceux qui n'aiment pas ça, je m'en excuse par avance. Mais je vous promets que ce sera beaucoup moins pénible que ce que vous pensez. Vous me faites confiance ?

La bise,

Emi.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant