15. La dépêche

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La dépêche est tombée lundi dans la journée. Simple, laconique. Sans un mot de trop. J'avais lu scrupuleusement chaque ligne pour m'en imprégner. Mais toujours aucune réponse à ce que j'aurais pu appeler le scandale du siècle si seulement je n'étais pas la seule à en avoir saisi la supercherie.

« L'attaquant du Sporting Club de Paris Nour Senghar a fait une mauvaise chute à son domicile samedi dans la journée. D'après nos informations, sa cheville serait touchée ce qui entrainera son éloignement des pelouses pour une durée de 15 jours selon les médecins du club Parisien. Plus de peur que de mal, pour Senghar qui disputera si tout se passe bien, son prochain match au stade Parchamps début octobre. »

Il suffisait de duper un tant soi peu le monde pour que tout s'écoule sans l'ombre d'un nuage. Bien joué Senghar ! Officiellement son accident domestique s'apparentait à un faux-pas relatif à la maladresse de n'importe quel quidam. Officieusement, son bobo ne datait pas de samedi, mais bien de jeudi soir. Date à laquelle, personne ne semblait faire référence. J'étais donc bien la seule à être au courant. Ce qui ne m'enchantait pas.

A la rédac de Team +, tout le monde avait levé les yeux au ciel dans un élan coopératif. La star du ballon rond venait de se faire mal à la cheville et le peuple s'en inquiétait. Moi, j'avais boudé dans mon coin. Ressassant mon mal de crâne qui ne m'avait pas quitté du week-end. Selim aussi parut touché par cet incident. Comment son meilleur pote d'enfance avait-il pu omettre de le prévenir avant que l'AFP ne le fasse à sa place ? Si tu savais Selim...

Même si je redoublais d'effort pour en avoir rien à foutre, la vérité, c'est que ça me dépassait complètement. Mon état frôlait la léthargie. Cette dépêche n'avait rien arrangé. Nour s'en sortait comme un chef, me faisant passer pour une folle. Et je n'avais aucun moyen d'en toucher un mot à Selim. Comme toutes les fois où il s'agissait de Senghar, j'avais peur qu'il interprète mes réactions sous le signe d'une vengeance placide. Peut-être que je me trompais. Mais va savoir !

Une partie de moi, la meilleure d'ailleurs, avait envie de préserver l'admiration que Selim portait au joueur du SCP. Lui qui l'avait vu évoluer pas après pas, se gardant bien d'émettre le moindre jugement sur ses choix de carrière. Selim, c'était la bonté personnifiée. Je n'avais pas le cœur à mettre un pavé dans la mare.

Au pied du mur, j'avais décidé de laisser l'histoire couler. Ça m'allait bien. Mais un petit détail pourtant a fait basculer mes intentions dans l'autre monde – celui où le besoin de savoir prévaut sur tout. Pourquoi un joueur de cette veine se laisserait-il aller au point de céder la victoire au camp adverse ? Pour quel putain de motif ?

Le compte à rebours venait de s'enclencher. Plus j'attendais, plus la résolution de cette énigme allait filer entre mes doigts. Les éléments en ma possession ne me permettaient pas de répondre aux flots de questions qui m'assaillaient. Alors, j'ai fait ce que tout bon journaliste de son espèce ferait en cas d'impasse. J'ai fouillé. Des heures durant. Le moindre article au sujet de Senghar datant de ces six derniers mois. Mais rien. Aucune trace à l'horizon. Alors j'ai élargi mes recherches. Détaillant point par point l'ascension de sa fulgurante carrière. Passant en revue, les moindres de ses victoires et échecs au cours de ces dix dernières années - de sa formation en club régional, de son recrutement à l'Olympique Club de Toulouse, en passant par son transfert record à Paris. Rien ne présageait une quelconque volonté de perdre. Au contraire, l'essentiel de la carrière de Nour était basée sur l'impétueux besoin de vaincre. Ça n'avait pas de sens.

Sans grande conviction, j'avais déterré quelques articles de presses régionales de l'époque. Il y a dix ans, un dénommé Henri Biseau avait écrit une série de papiers sur l'ascension du jeune prodige de Colombes. Tous plus élogieux, les uns que les autres, ce journaliste défendait avec soin, le centre d'entrainement de la municipalité qui avait vu émerger quelques émérites sportifs au cours des dernières années. Senghar en faisait évidemment partie. À plusieurs reprises, il mentionnait le nom de Aristote Leidmann. Je me souvenais parfaitement de ce petit bonhomme, chauve, aux allures de gremlins. J'avais souvent foulé la pelouse du FC Colombes. D'abord accompagnée par mon père et plus tard pour des raisons évidentes. Impossible d'oublier l'incroyable passion qu'Ari avait pour le football. Entraineur assidu de l'équipe de la ville, il avait détecté tôt, le talent de Nour, mettant ses relations à profit pour que celui-ci prenne en main son destin. Leidmann avait réussi son pari haut la main. Senghar avait gravi avec succès, tous les échelons le menant vers le sommet. Encore aujourd'hui, il rayonnait de par son brio, sa classe légendaire sur le terrain et sa détermination sans faille. Les facultés de Nour avaient été mises en avant aux prémisses de son adolescence. Ari multipliait d'efforts pour que son poulain puisse accéder aux portes de la gloire éternelle. Senghar lui devait beaucoup, si ce n'est pas tout.

En me remémorant cette époque, je revoyais les discussions houleuses entre Ari et Nour à chaque fin de match. Son entraineur ne lui pardonnait pas grand chose. Encore moins ses erreurs tactiques, son manque de concentration et surtout sa tête brûlée. Aristote Leidmann avait éteint beaucoup de feu après le passage de Nour, fustigeant souvent le manque de recul de son joueur. Sur le terrain et à l'extérieur, Senghar tempêtait beaucoup plus que les autres. Une colère difficile à canaliser, mais qui lui avait donné la rage de poursuivre son rêve au détriment de tout le reste.

Je venais de me plonger dans le passé. Je relisais chaque article dans une sorte de commémoration pacifiste. Je remerciais les archives d'internet de me permettre de mettre un pied dans une ère révolue pour toujours. Mais ça ne me suffisait pas. Je n'avais toujours rien trouvé à me mettre sous la dent. Cela faisait des heures que je scrollais des pages entières de mots pondus dix années plus tôt, jusqu'à ce que la chance me sourit enfin !

L'avantage indéniable des nouvelles technologies de référencement, c'est qu'un petit mot clé en entraine des centaines d'autres. Et si ils sont bien cachés dans les moteurs de recherche, ils finissent pas émerger comme par magie. C'est juste une question de volonté – et accessoirement de temps perdu à traquer les recoins d'internet.

Dans un petit encadré daté du mois de novembre 2007, un pigiste du journal des Hauts de Seine, s'était passionné pour l'histoire rocambolesque d'un joueur de football du FC Colombes. Cet adolescent de dix-sept ans venait de se faire prendre la main dans la sac à revendre des médocs à la sauvette en échange de doses un peu plus corsées. Il écopa d'une peine relativement clémente au vue des faits : 2 mois de sursis avec mise à l'épreuve, entrainant la révocation ferme et définitive et cela pour une durée de cinq ans, de sa licence de football. Aucune précision quant à l'auteur de ces actes. Rien de bien surprenant.

Je ne me rappelais pas de cette histoire. À cette époque, je venais de quitter Colombes pour m'installer à Paris. J'étais déjà bien loin du tumulte, raison pour laquelle cette sombre affaire m'avait échappé. Pourtant, une petite voix me murmurait que le début de la vérité avait quelque chose à voir avec tout ça. Et pour en être bien certaine, il suffisait que je pose les bonnes questions. 


Note de l'auteur : 

Salut, 

Me revoilà pour la suite des aventures de Soisek. Un petit chapitre, certes, mais qui en cache un autre bien plus étoffé ! 

On commence l'enquête et j'espère que vous allez apprécier chaque avancée. Quant à Nour, il n'est jamais bien loin. Soyez attentives =) 

À très vite, 

Em. 

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant