20. L'envers du studio

263 27 13
                                    

Point de vue de Nour

J'ai traîné des pieds. En vissant ma casquette sur le crâne, j'ai croisé les yeux furibonds de mon agent. Ça faisait déjà une demi-heure qu'il attendait dans mon salon. J'aurais adoré le faire patienter toute la nuit, mais mon contrat stipule que ce genre d'exercice n'est pas en option. Ça me rend fou ! Moi mon truc c'est le football, pas les échanges foutrement chiants avec des journalistes fouilles merdes. La seule chose qui me rassure un peu, c'est la présence de Selim. Lui et moi, on est pote depuis l'enfance. C'est un gars bien. Le genre de type à s'être défoncé corps et âme pour réussir. Un peu comme moi, mais dans un autre domaine. Je respecte son taff, lui n'a jamais fait parti du lot de fouines irrespectueuses. Il aime le foot pour la beauté du sport. Et ça lui suffit pour en parler mieux que quiconque.

Depuis le séjour, j'entends Barys, mon agent, souffler comme une locomotive. Il me casse les couilles à toujours vouloir tout régenter. Je suis reparti me coiffer parce que ma putain de pucks sans casquette, ça faisait peur à un môme. Dans le miroir, j'observe mon reflet sombre. J'ai la tête d'un mec qui n'a pas dormi depuis 3 semaines. Mes yeux sont injectés de sang et ma peau tire dans le creux de mes joues. Pour camoufler le délire, j'ai laissé pousser ma barbe. Je ressemble à un camé sous amphétamines. Je laisse mes doigts parcourir l'épaisseur de mes cheveux pour leur donner un aspect moins souillon. Heureusement que mes fringues relèvent le niveau. J'suis même pas certain de chopper des meufs avec cette tête. Quoique, ça fait longtemps qu'elles ne m'aiment plus pour ce que je suis...

Barys me scrute de loin, l'œil vissé sur le cadran de sa montre plaquée or, qu'il ne s'offre que grâce au 10% que je lui verse sur chacun de mes contrats. Il est peut-être bon dans ce qu'il fait, mais ça reste une sangsue motivée par l'oseille. Et moi, du fric, j'en ai tellement, que j'attire les types comme lui comme de vulgaires mouches.

J'sais pas ce que j'ai en ce moment, je suis d'une humeur de chien. En fait, tout me fait chier. C'est comme si j'étais arrivé au point culminant de ma carrière. J'ai plus goût à rien. Même taper dans un ballon, ça me fait plus l'effet que ça devrait. Je suis travaillé par une multitude de petites emmerdes qui viennent s'amonceler dans mon quotidien. Et j'ai pas baisé depuis trop longtemps.

En passant la porte de mon appartement, Barys monologue sur les éventuelles questions que l'on va me poser tout à l'heure. Reste professionnel, ne t'épanche pas, réponds de façon claire et précise, joue pas au con, élimine les critiques - bla-bla-bla. Ta gueule gros ! J'ai compris.

Comme prévu, le mini-van attend devant mon immeuble garé en double fil. Je m'y engouffre sans prendre la peine de vérifier si Barys me suit. Je m'en cogne. Mon casque vissé sur les oreilles, je fais tout le trajet avec du Rap US pour seule compagnie. J'avais pas l'intention de taper la causette à quiconque.

Arrivé devant les portes du bâtiment de Team +, un orde de curieux fait le pied de grue dans le seul but d'apercevoir mon fantôme sortir de la voiture. Avant j'aurais trouvé ça touchant. Là, ça devient juste ridicule. Je suis un joueur de foot, avec des doutes et des faiblesses et en ce moment je les paye cher. Pas de quoi s'extasier !
Poliment, je saute à l'extérieur du van, un sourire fictif collé au visage. On dirait presque que je suis content d'être là. Je file l'accolade à quelques supporters et me dépêche pour filer à l'intérieur du bâtiment.

Une bonne partie de la rédaction de Team + m'accueille au rez de chaussé avec enthousiasme. Ils savent sûrement que grâce à moi, leur audience va grimper en flèche. Depuis qu'ils ont lancé leur émission sur le football, les invités sont des petits privilégiés sensés promettre l'exclusivité. Et ils leur manquaient Nour Senghar pour être pleinement satisfait. Vu ma sortie de route du dernier match, avant ma stupide blessure, je ne pouvais pas me permettre de jouer les divas avec des journalistes. Barys me la bien fait comprendre.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant