Lundi matin rime avec incertain. Incertain comme mon planning de la semaine. Incertain comme le regard de Selim, en réunion de rédaction.
Yuri vient d'attribuer les tâches de chacun. S'arrangeant rarement pour accommoder les préférences des uns et des autres, Yuri s'amuse à envoyer son équipe où bon lui semble, tant que lui trouve l'idée ingénieuse.
Gaël part couvrir l'arrivée de la course nautique en solitaire en Vendée. Maria est assignée à l'équipe de France de volleyball et ce jusqu'à nouvel ordre. Quant à Selim, la semaine sera placée sous le signe du Tennis. Tout le monde apparaît enchanté. Tout le monde, sauf moi.
- Quoi ? Me beugle Selim.
Décomposée, ma tête vient heurter violement la surface de la table de réunion. J'ai envie de disparaître. Vraiment.
Il ne reste plus que moi et Selim dans la pièce. Le silence soudain me fait prendre conscience de l'ampleur de mon prochain désastre. En d'autre terme, cette journée s'avère aussi merdique qu'une tempête de neige en plein mois de juillet.
Décontenancée, je viens glisser mon visage contre le torse de Selim, assis à mes côtés. J'ai envie de m'enfuir dans son pull pour les trente prochaines années.
- Sérieusement, Yuri ne pouvait pas choisir quelqu'un d'autre ? Maugréai-je.
Le torse musclé de Selim se souleva brusquement.
- Sek, tu te fiches de moi ? C'est génial !
Il a dit « génial » ? De façon convaincu en plus ! Beaucoup trop ronchon pour riposter, j'émet des sons caverneux qui ne sont pas sans rappeler celui d'un ours en colère. Non, ce n'est pas génial. C'est l'enfer, pavé de laves et d'obstacles épineux. Mais qu'est ce qu'ils ont tous à trouver ça super ? Depuis ce matin, toute la rédaction me lance des regards entendus. Même Gaël est venu me féliciter. Mais de quoi ? Bravo Mara, tiens un billet pour le purgatoire ! Que la flamme éternelle veille sur toi. Tristement ironique.
Je continue de geindre comme si la vie m'avait enlevé un de mes membres. La litanie peut durer des siècles. Je m'en fous. J'ai pas envie.
- Tout ce que tu as à faire c'est poser tes questions et le tour est joué, je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans un état pareil. Me glisse Selim, perspicace.
Pourquoi ? Peut-être parce que poser des questions à la seule personne capable de transformer mon corps en banquise n'est pas totalement une partie de plaisir. Non, couvrir la conférence de presse du prochain match du SCP jeudi soir, ne m'enchante pas. Je n'avais pas comme programme de me faire mitrailler par les yeux ténébreux de Nour Senghar. Je m'en passerais volontiers. Capable de troquer ma mission contre le lavage de tous les frigos du bâtiment de Team +. Pour peu que l'on me sorte de cette misère dans laquelle Yuri vient de me projeter contre mon grès. Fais chier.
- Allez Sek, j'ai confiance en toi ! Prends cette exercice comme une preuve de confiance de la part de Team +. Ce n'est pas ce que tu voulais ?
Evidemment, la réponse est oui. Mais quand un jour j'ai évoqué brièvement avec mon chef la possibilité de ne jamais avoir à jouer les renifleurs dans un match du SCP, celui-ci avait acquiescé sans sourciller. Donc, mon raisonnement m'emmenait plus volontiers vers un signe d'avertissement plutôt que d'altruisme. Yuri = Dieu. Et dans tous les cas, c'est lui qui décide du sors de ces disciples. Fin de l'histoire.
Sans un mot, je m'éloigne de Selim pour reprendre mes esprits. Dans ma tête, c'est synthétique. Une question et je me casse. Une foutue question et je sortirai de la pièce où a lieu cette conférence, dignement. L'idée me semble mesuré.
- T'as raison, c'est pas un joueur de foot qui va me faire tressaillir. Proclamai-je déterminée.
- Oui. Mais, Sek, ce n'est pas n'importe quel joueur. Rétorque Selim avec un clin d'œil.
Dans les faits, il a raison. Mais je me garde bien de lui dire. Je vais traiter Nour Senghar comme si c'était n'importe quel joueur lambda de première division. De façon, prodigieusement professionnelle et avec une aisance naturelle que je n'ai pas encore, mais qu'ici jeudi aura eu le temps d'éclore. Je m'auto-persuade. C'est salvateur.
- Et toi, tu bosses sur quoi ? Tentai-je pour détourner l'attention vers quelque chose de moins perturbant.
- Je fais une enquête sur Clubster, tu connais ?
- Je devrais ?
- Le site de pari en ligne. C'est la référence dans le milieu du pari sportif. T'en as jamais entendu parler ?
- Non. Et dis-moi, c'est légal ce truc ?
- Oui et non. Les sites de paris en ligne sont ultra réglementés par l'Autorité de Régulation des Jeux En Ligne. Mais seulement à partir du moment où ils sont établis en France. Et ce n'est pas le cas de Clubster, qui est pourtant le leader sur le marché.
- Et donc ?
- Donc, je mène ma petite enquête pour découvrir les dessous de Clubster et comprendre comment ils arrivent à engranger des sommes colossales sur le dos de la société.
- C'est héroïque, Bravo Selim. Terminai-je, avec une pointe d'ironie.
Tout en me levant, je lui tape l'épaule en guise d'encouragement. On n'est jamais trop nombreux à mettre le nez dans le petit business des grands requins. Et même si ça n'abouti jamais vers un procès équitable et juste, au moins la marmite est en ébullition. C'est un début.
Je quitte la pièce pour rejoindre mon bureau. Dans l'open-space c'est la cohue. Les téléphones sonnent sans interruption et la moitié de l'effectif se houspille par dessus leur écran d'ordinateur. On dirait un zoo, dans lequel on a mis tous les primates de l'univers dans la même cage. La situation m'agresse particulièrement pour un lundi matin. Mais je ne dis rien. Consternée, je retourne m'asseoir. La semaine s'annonce plus longue que prévu. C'est une certitude. L'apothéose a rendez-vous avec un match de foot jeudi soir.
Note de l'auteur :
J'ai fait un petit clin d'oeil à Sartre. Un léger.
Bon le prochain chapitre va entrer dans le vif du sujet. Une petite rencontre en face à face entre Nour et Soisek, ça vous tente ?
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Bises,
Em.

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Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...