3. Stade Critique

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On est samedi. Je fais les cent pas sur mon petit balcon. Je crois que je suis stressée. C'est toujours comme ça. Le jour d'un match auquel j'assiste, je me ronge le sang. Pas parce que j'en ai quelque chose à foutre du résultat. Non. Parce qu'aller à un match de Sporting Club de Paris, ça me rend toujours nerveuse plus qu'il ne le faudrait. C'est ridicule, je sais. Mes mains sont moites, mon cœur palpite, et je crois même que mes jambes commencent doucement à flageoler. L'anxiété me gagne. Petit à petit, à mesure que l'après-midi passe, je n'arrive pas à contenir cette agitation. Alors je fume. Je ne fume jamais. Pas sobre du moins.

Je regarde ma montre, une centaine de fois. Je laisse défiler les minutes. J'aimerai que le cadran s'arrête. Que le monde se mette sur pause. Il faut que je retrouve de ma contenance. Je me fais flipper.

J'angoisse parce que je n'ai pas envie de croiser son regard. Il me terrorise à chaque fois. Je devrais laisser couler. Ne même pas y prêter attention. Mais je n'y arrive pas. Ses deux prunelles obscures me glacent le sang. Il me donne froid. Parce qu'il est froid. Son capital sympathie à mon égard frôle le négatif. Et je crois que je ne m'y ferais jamais. Alors, j'essaye de penser à autre chose. Je me dis que si je la joue fine, je ne serai peut-être même pas obligée de le croiser. Je pourrais l'observer de loin, comme souvent. Mais lui ne me verrait pas. Et c'est tout ce qui m'importe. Qu'il ne me voit pas. Je ne connais pas le pronostic du match, mais je connais l'issue de notre rencontre. Son regard noir, son visage figé, sa haine viscérale.

Selim ne sait pas tout ça. Il ne sait pas comment IL me regarde. Si je lui disais, il penserait probablement que c'est dans ma tête. Et peut-être qu'il a raison. C'est sûrement le fruit de mon insatiable imagination. Non ? Je souffle. Encore. Je prends mille respirations profondes. Je tente d'apaiser le tourbillon qui lacère mon estomac. J'aurais presque envie de vomir !

Ce n'est qu'un match, Soisek. Un putain de match !

Pourtant, j'adorais les matchs du SCP. C'était avant qu'il ne réalise le transfert de l'année. Ce transfert qu'il m'est si pénible à supporter. Parce que même en haut des tribunes, j'ai l'impression que mon cœur se sert à chaque fois. Et je déteste cette sensation. Alors pour chasser l'appréhension, je continue de piétiner le long de mon balcon. J'aperçois la voisine d'en face, consternée par mes allers et venues. Vieille carne ! J'ai peur, ça ne se voit donc pas ? Je n'aperçois par tout de suite, la voiture de Selim se garer plus bas. Seul le bruit de son klaxon me sort de ma torpeur.

Le périph est contrarié. Les automobilistes s'insultent. Mon stress n'est que plus palpable. Le stade Parchamps, n'est plus qu'à quelques kilomètres. Je peux même l'apercevoir au loin. Il trône dans le paysage, érigé en mirador, surplombant ainsi le bois de Boulogne.

Rénovée en 2010, le stade est une véritable sculpture gravée dans le béton armé. Sa coupole en acier fait refléter le soleil au quatre coins de la Capitale. Une vraie merveille architecturale. Capable d'accueillir plus de 50 000 personnes, ce véritable temple dédié au foot est devenu depuis quelques années, l'un des lieux les plus prisés du gratin parisien.

- On dirait un guide touristique, quand t'en parle ! S'esclaffe Selim.

Les deux mains sur le volant, je le sens lui aussi devenir nerveux. Pas pour les mêmes raisons que moi, c'est certain. Pour lui, c'est le résultat qui compte. C'est son équipe qui doit gagner ce soir. Si il pouvait, je suis presque sûre qu'il irait lui même mettre le but de la victoire. Pour s'assurer que ce soit bien fait.

- Ils sont bons en ce moment à Rennes. Glissai-je l'air de rien.

- Ouais, si on veut. Ils ne sont pas assez défensifs.

- Moi, j'trouve pas. Ils sont dynamiques, coriaces. On sent qu'ils en veulent.

Selim me regarde, étourdi.

- Je croyais que t'en avais rien à faire de ce match ?

J'hausse les épaules et détourne mon regard vers la fenêtre. La voiture s'engouffre dans le parking sous-terrain. Le ballet des gros cylindrés ne fait que m'irriter davantage. La ferveur est déjà manifeste. Les banderoles, les écharpes, les maillots à l'effigie du SCP décorent chacun des supporters que je croise.

Selim manœuvre avec précision. En moins de temps qu'il ne faut pour dire «Ouf », nous voilà les deux pieds sur l'asphalte.

Ma carte de presse dans les mains, je fais signe à Selim de me suivre. Faire la queue en attendant les palpations du vigile à l'entrée, trop peu pour moi. Je longe les couloirs, dans le sens inverse de la porte principale. Je sais par expérience qu'en tant que journaliste sportif, on est soumis à quelques privilèges. Celui là en fait partie. Hall 3. À gauche, sous l'escalier, une petite porte est spécialement réservée aux gens de ma profession. Je tire Selim par la manche. Il fait des mondanités. J'ai horreur de ça.

Je salue Dimitri. Le gardien de porte. Affublé de son éternel smoking noir, l'oreillette coincée dans le lobe droit, je le sens tendu. Comme à chaque match. Moi aussi, Dimitri, je suis tendue. Moi aussi. Au bout du corridor, le soleil. A mesure que mes pas me mènent vers l'extérieur, je sens l'ambiance électrique. Un frisson parcourt mon échine. C'est ça à chaque fois. Cette atmosphère si propre et si particulière les soirs de match, m'ont toujours provoqué des palpitations.

J'entends le bruit de la foule. Les gens crient, chantent, s'époumonent. Les supporters du SCP sont survoltés.

Je grimpe les quelques marches qui mènent à nos sièges. Selim, sur mes talons. Je ne me retourne pas pour voir la pelouse. Je la connais par cœur. J'aurais tout le temps de l'observer tout à l'heure. Non, je gravis les marches, concentrée sur ma tâche. Parce que mes jambes semblent se détacher de mon corps. Et que j'ai peur de tomber.

Ugo et Mélanie, sont déjà assis. Ils me scrutent avec précision. Ne manquant pas un seul de mes pas. Je souris. C'est l'effet qu'ils me font tous les deux. Ugo et Mélanie, mes grands amis. On s'enlace. On s'embrasse. Mél me pince l'épaule. Elle me connaît par cœur. Elle lit mon pressentiment. Mais j'ignore son regard entendu. Je n'ai pas envie de faire de mièvrerie. Pas ce soir.

La chaleur moite de cette fin d'été est étouffante. Quand mes yeux se posent enfin sur l'immensité du stade, je comprends qu'on sera des milliers ce soir à célébrer la probante victoire du SCP.

En temps normal, j'aurais trouvé ça beau. Mais je n'arrive pas à me concentrer. Je fixe la pelouse. Attendant son apparition.

Le soleil est bas et vient se poser juste au dessus de la coupole. Le match va bientôt commencer et les chants des supporters redoublent d'intensité. C'est fort. Grisant. C'est toute la beauté du sport ! Ce pouvoir prodigieux qu'il a de réunir plutôt de désunir.

Les minutes défilent et bientôt le silence. Tout le monde a les yeux rivés sur le terrain. Les murmures sont nombreux. On retient notre souffle. On y est. C'est maintenant.

Les joueurs font leur entrée sous les applaudissements du public en délire. Au loin, un écho. L'acclamation d'une tribune pour la star incontestée de ce rassemblement. Je l'entends, d'abord comme un chuchotement. Bientôt, les voix s'élèvent. Et les hurlements se font plus persistants.

Senghar, Senghar, Senghar, Senghar .... Jusqu'à l'épuisement.

Il arrive en saluant son public. Tel une Diva, je le vois parcourir du regard les tribunes bondées. Il scrute attentivement le stade. Il sait que beaucoup sont venus pour le voir. Il sait que c'est son moment. Celui pour lequel il est né. Alors, il lève les bras en l'air, signe de reconnaissance. Et part s'échauffer avant le top départ.

Je ne perds pas une miette du spectacle. Mes yeux sont rivés sur sa silhouette. Et même au loin, je crois sentir son trouble. L'adrénaline, le tambourinement de son cœur dans sa cage thoracique et l'excitation. Nour Senghar est né pour être une légende. Et il le sait !


Note de l'auteur :

Bienvenue au stade les amis. Vous venez de faire une micro connaissance de Nour Senghar. Et croyez moi que vous risquez bientôt d'en faire une overdose. :)

La bise,

Emi

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant